Adriana ne déçoit pas
La pièce dans la pièce
Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur), Alessandro Corbelli (Michonet), Wojtek Smilek (le Prince de Bouillon) et Raul Giménez (l'Abbé de Chazeuil) © Vincent Pontet
Adriana Lecouvreur narre l’histoire tragique d’une comédienne. L’opéra débute dans les coulisses, avant et pendant une représentation rassemblant sur une seule scène la crème des comédiennes du Paris d’époque.
Le parti-pris de David McVicar, très judicieux, est donc ici d’insister sur l’essence de cet opéra et de plonger le spectateur dans une mise en abîme totale : les décors de Charles Edwards, avec leurs jeux de perspective, nous font ainsi tourner autour de la scène d’un théâtre du XVIIIème. Les machinistes s’activent pour changer les décors de ce théâtre et changent au passage ceux de l’opéra. Mais ce qui fait la force de cette mise en scène est sa cohérence car cette idée est exploitée de bout en bout. Ainsi, alors que l’intrigue se noue sur la scène de Bastille, la pièce dans la pièce se joue en arrière plan, visible grâce aux jeux d’ombres et de lumière créés par Adam Silverman. Soudain, le régisseur Michonnet observe le monologue d’Adriana : la tension qu’il ressent alors est partagée par un assourdissant silence, régulièrement interrompu par ses commentaires sur le jeu de la comédienne ou sur les réactions du public.
Autre exemple, à l’acte III, l’ensemble de la distribution prend place à l’avant-scène pour assister à la représentation d’un ballet, applaudissant ce spectacle dans le spectacle, dont le kitch assumé, que ce soit dans la chorégraphie d’Andrew George ou les costumes de Brigitte Reiffenstuel, apporte la distanciation nécessaire à une mise en abîme réussie.
Une distribution éblouissante
Angela Gheorghiu (Adriana Lecouvreur), Alessandro Corbelli (Michonnet), Alexandre Duhamel (Quinault), Carlo Bosi (Poisson), Mariangela Sicilia (Jouvenot) et Carol Garcia (Dangeville) © Vincent Pontet
Comme dans l’histoire, la représentation d’hier rassemblait la crème des scènes lyriques, emmenée par une Angela Gheorghiu brillante, au propre comme au figuré, qui s’est faite, comme son personnage « l’humble servante du génie créateur ». La cantatrice, qui n’a pas boudé son plaisir lors de l’ovation ayant accompagné son salut final, a su alterner la finesse dictée par l’humilité et la timidité de son personnage, la puissance requise par les accès de rage jalouse, et une facétie charmante durant les duos amoureux.
Face à elle, Marcelo Alvarez, en grande forme, impressionne par sa puissance et la beauté de son timbre. Alessandro Corbelli impressionne également. Son jeu d’une grande finesse accompagne le basculement dramaturgique progressif, de la comédie chorale du premier acte à la tragédie du dernier. Enfin, Luciana D’Intino est parfaite dans le rôle de la Princesse jalouse. Son duo avec Gheorghiu à la fin de l’acte II reste d’ailleurs l’un des grands moments de la soirée, de ceux qui procurent le frisson tant recherché par les amateurs d’opéra. Parmi les rôles de complément, nous retiendrons surtout la performance de Raul Giménez en Abbé de Chazeuil, bien que les autres protagonistes, plus discrets, n’aient en rien démérité.
Comme toujours, l’orchestre de l’Opéra de Paris fut hier remarquable, parfaitement dirigé par Daniel Oren, sautillant lorsque la partition pétillait, puis plus grave et solennel au fur et à mesure que le tragique prenait le dessus, jusqu’à conclure le dernier acte dans un sommet de poésie et de subtilité.
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