L’Académie chante l’Amour à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
L’un des objectifs de l’Académie de l’Opéra national de Paris est d’accompagner l’émergence des professionnels de demain et de parfaire leur formation. Sont sélectionnés des chanteurs du monde entier révélant des compétences vocales idoines pour l’opéra, ce que démontrent les artistes participant à la soirée de par leurs voix d’une richesse résonante et vibratoire spectaculaire.
Mais parce qu’être chanteur lyrique ne signifie pas uniquement chanter l’opéra, les jeunes artistes se confrontent ce soir à l’exercice exigeant du récital chambriste qui demande des aptitudes vocales et un engagement musical quelque peu différents de ceux requis pour l’opéra. Il ne s’agit plus de se préoccuper de passer l’orchestre mais de dialoguer avec le piano et de délivrer au plus près les multiples nuances émanant des textes poétiques et des pages musicales.
Les Spanisches LiebesLieder opus 138 et les Spanisches Liederspiel op. 74 de Schumann, de par leur variété combinatoire (solo, duo, quatuor) et leur thème universel (l’amour), offrent un support inspirant pour les huit chanteurs qui interviennent ce soir.
La soprano Sima Ouahman ouvre le bal avec ce vers qui pourrait être l’emblème de l’amour romantique « La souffrance est au fond de mon cœur ». Très attentionnée envers l’intelligibilité, elle fait sonner fortement les consonnes et délivre la musique d’une voix aussi brillante que les talons pailletés de ses chaussures.
Elle est rejointe par la mezzo-soprano Sofia Anisimova pour le duo doux-amer qui évoque l’amour et les souffrances qui l’accompagnent. Toutes deux mêlent leur vibration, et leurs timbres se marient idéalement. Ayant peu recours au registre de poitrine, la mezzo-soprano manque quelque peu de présence au sein du quatuor, cependant, elle interprète en solo Gedichte der Königin Maria Stuart dans un engagement permanent à pleine voix, avec un intense legato et des aigus étincelants.
C’est avec simplicité et un phrasé naturel que le ténor Liang Wei évoque la beauté d’une jeune fille. L’opéra n’est cependant jamais loin, avec des intentions de théâtralité et une projection vigoureuse de certains aigus qui emplissent l’auditorium de fréquences vibratoires impressionnantes.
Le baryton Luis-Felipe Sousa se détache de la partition pour interpréter une traduction musicale de l’inquiétude ressentie dans l’espoir d’un amour réciproque. Si la présence vocale est de bonne tenue et l’attention aux mots soignée, les moments d’exaltation peuvent manquer de fougue. Il intervient en bonne complicité avec son collègue ténor, tous deux se délectant de la beauté des yeux d’une jeune fille.
Pour clore la première partie, le baryton Clemens Frank interprète notamment des extraits du Liederkreis op.24 de Schumann. Chantant dans sa langue maternelle, il se fait un interprète inspiré et un narrateur hors pair notamment dans la seule pièce sortant de la thématique amoureuse (Der Contrabandiste) qu’il débite sans sourciller. Il colore et nuance son chant, osant des sons pianissimo en registre mixte pour évoquer le souvenir et convoque une intensité accrue quand il s’agit de la mort. Sa voix peut cependant manquer de brillance dans le grave fragilisant le socle dans le quatuor vocal.
Celle qui ne manque pas de brillant, c’est la voix de la soprano Isobel Anthony qui, en accord avec le vermillon de sa robe, vient chatouiller l’oreille de l’auditoire. Son chant est spirituel à l’évocation du jeune homme aperçu et elle prend toute sa place au sein du quatuor. Cependant, son intervention apparaît quelque peu disproportionnée dans In der Nacht (Dans la nuit), répondant vaillamment au climat nocturne proposé par le piano. Elle semble peiner à contenir la nuance piano, qui demeure tout au long du Lied riche en décibels.
Le timbre concentré de la mezzo-soprano Amandine Portelli lui assure une présence vocale solide. Elle évoque les tourments de l’amour dans une intensité constante, des graves poitrinés aux aigus lumineux, dans une surenchère d’engagement comme le suggère le poème : « vous ne voyez aucune joie, seulement blessure sur blessure, douleur sur douleur ». Elle ne se départ cependant pas d’un certain dramatisme sérieux même lorsque le ton du poème devient plus léger ou teinté d’humour comme lorsqu’elle répète « Celui qui m’aime, je l’aime aussi, et j’aime et je suis aimée ».
Nul ne peut résister au timbre chatoyant du ténor Bergsvein Toverud. Attentif à la partition et tout en maintenant l’ancrage, il impose un doux phrasé et des nuances subtiles à l’évocation de son amour. Il tient sa place au sein du quatuor rejoignant ses partenaires pour évoquer joyeusement les mauvaises langues calomnieuses.
L’Académie de l’Opéra national de Paris est également ouverte aux instrumentistes et les pianistes Antoine Dutaillis, Moeka Ueno et Robin le Bervet figurent comme de véritables partenaires inspirés et inspirants.
Le public ne pourra malheureusement pas entendre et/ou découvrir les mélodies d’Emilie Mayer initialement programmées (la chanteuse prévue étant souffrante). Seul l’Adagio de son Quatuor à cordes op. 14 interprété avec grande émotion par les violonistes Chloé Mauger et Meiko Nakahira, l’altiste Jeanne Duquesnoy et le violoncelliste Sunghyun Lee, témoigne des talents de cette compositrice allemande surnommée « La Beethoven au féminin ».
Dans l’attente de les re-découvrir dans des rôles, le public affirme son soutien aux jeunes interprètes par des applaudissements chaleureux. Hedwig Fassbender, qui les a aidés dans la préparation musicale de ce programme, les rejoint sur scène, visiblement heureuse et fière d’un travail réussi.