Puccini et Berlioz à Liège : paroles de Maestro
Maestro Bisanti, pouvez-vous nous présenter la cantate “Pucciniana – Tributo a Giacomo Puccini nel centenario della morte” d’Andrea Battistoni commandée par l’Opéra Royal de Wallonie-Liège et dont vous dirigerez la création ce 29 novembre ?
Il s'agit d'une cantate en hommage à Puccini divisée en six parties, chacune d'elles ayant des références littéraires, culturelles et musicales à la vie et aux œuvres du grand génie italien. C'est un travail articulé, complexe, fascinant et très original qui, j’en suis certain, plaira beaucoup au public.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette partition ?
Il est toujours fascinant de diriger une création mondiale, surtout au moment où l'on célèbre l'un des plus grands compositeurs de l'histoire de la musique à l'occasion du centenaire de sa disparition. La musique est fraîche et procurera un plaisir intense et immédiat. Nous y trouverons des mélodies, des styles et des harmonies reconnaissables et d'un impact certain. Ce sera une expérience très gratifiante pour l'Orchestre, le Chœur et tous les musiciens impliqués.
Le compositeur Andrea Battistoni est également chef d’orchestre, est-ce que cela se ressent dans sa partition et est-ce que cela facilite votre travail ensemble ?
Andrea Battistoni est l'un des musiciens les plus géniaux et complets que j'ai eu l'occasion de rencontrer depuis les nombreuses années où je fréquente le monde de la musique. En plus d'être un chef d'orchestre extraordinaire, il est également un compositeur original et très théâtral. Son style est clair, profondément musical et riche en références à la musique italienne, russe et d'Europe centrale. Sa musique est très bien écrite pour chacun des instruments impliqués, une caractéristique vraiment unique de nos jours. Il a une facilité tant dans l'utilisation des mélodies et des harmonies que dans l'orchestration. Je dois dire que très peu d'artistes, de nos jours, peuvent se vanter d'une telle assurance et d'une telle maîtrise de la musique.
Quel avenir imaginez-vous pour cette cantate ? Savez-vous déjà si elle sera rejouée ailleurs ?
C'est toujours ce que l'on espère : cette grande et magnifique fresque musicale mérite d’être reprise. Commander une nouvelle œuvre est une grande responsabilité pour un Théâtre ou une institution musicale. Je suis fier et honoré de pouvoir dire que l'Opéra Royal de Wallonie-Liège a été la seule institution au monde à relever ce défi en confiant à un compositeur la commande des célébrations pucciniennes. Ce n'est pas un choix simple de la part d'une direction, et nous sommes tous très honorés que le Maestro Battistoni l'ait accepté. Il aurait certainement été plus simple de mettre en scène l'un des nombreux chefs-d'œuvre que Puccini nous a laissés et ainsi rendre hommage à sa vie avec sa propre musique. Nous avons voulu nous tourner vers l'avenir : le même Puccini regardait très loin tant dans la vie que dans son style musical. Nous avons décidé de le célébrer avec une nouvelle œuvre théâtrale qui se penche sur lui et son génie tout en proposant quelque chose de nouveau et d'inédit. Stefano Pace, en faisant cela, a encore une fois démontré le grand amour qui lie notre public à son Théâtre, invitant nos spectateurs à vivre une expérience musicale inédite et nouvelle. Il est d’ailleurs très touchant que le choix de ce type de célébration ait lieu dans un théâtre de la nation où Puccini est mort.
Retrouvez également la présentation de la saison par le Directeur Stefano Pace
Comment ont été choisis les airs de la deuxième partie de soirée, extraits de Le Villi, Turandot, La Bohème, Manon Lescaut, Tosca, Madama Butterfly ?
Le choix des morceaux musicaux de la seconde partie a été fait de manière à offrir au public un large aperçu de la production de Puccini. C’est un moyen de lui rendre hommage à travers quelques-unes des pages les plus célèbres qu'il a écrites tout en cherchant à représenter chacune de ses périodes créatives, de Le Villi (son premier opéra) jusqu'à Turandot.
Qu’est-ce que ces morceaux permettent de raconter, entre eux et avec la cantate ?
Il y a de nombreux liens entre la Cantate et les morceaux que l'on écoutera dans la deuxième partie... mais je ne veux pas les révéler. C'est une joie que ceux qui écouteront le concert pourront savourer.
Les solistes de la soirée seront la soprano Marigona Qerkezi et le ténor Galeano Salas. Comment ont-ils été choisis et qu’apportent-ils à cette musique ?
J'ai déjà travaillé plusieurs fois avec tous les deux. Ce sont deux magnifiques artistes et ils font partie des meilleurs jeunes talents du chant lyrique au niveau international. Pour cette occasion particulière, j'ai voulu deux chanteurs qui soient également deux excellents musiciens. Pour interpréter une nouvelle œuvre, il faut des musiciens très préparés et conscients des structures musicales et de l'harmonie d'un morceau. Tous deux sont extraordinaires tant sur le plan vocal que musical, et ils feront un magnifique travail.
Quelles sont les forces du Chœur et de l'Orchestre de l’Opéra de Liège dans le répertoire de Puccini, et sur quoi travaillez-vous avec eux ?
Puccini est un compositeur qui écrit très bien pour l'Orchestre et chaque musicien, au cours de sa carrière, interprète ses grandes œuvres de nombreuses fois. Donc, on pourrait dire que la musique de Puccini est un peu le “pain quotidien” pour chaque musicien qui joue dans un Opéra.
2024 marque le Centenaire Puccini, est-il possible de résumer en quelques lignes ce qui fait le génie de ce compositeur et pourquoi il est toujours aussi poignant 100 ans après sa mort ?
Résumer en quelques lignes la grandeur et l'importance de Giacomo Puccini est vraiment difficile. D'un point de vue purement musical, on peut dire que Puccini a réussi à renouveler profondément la tradition opératique italienne, sans jamais trahir ses racines. Ses œuvres, bien ancrées dans le bel canto et le mélodrame, présentent des éléments de nouveauté comme l'utilisation du vérisme, qui mettait en scène des histoires plus réalistes et des personnages plus complexes, ainsi qu'un certain goût pour l'exotisme. Puccini est connu pour ses mélodies inoubliables, capables de toucher les cordes de l'émotivité de l'auditeur. Air après air, ses œuvres s'enchaînent avec des moments musicaux intenses et mémorables. De plus, Puccini était un maître dans l'utilisation de l'orchestre, qu'il utilisait de manière extrêmement efficace pour créer des atmosphères suggestives et souligner les drames des personnages. Mais Puccini était bien plus que cela ! On pourrait dire que Puccini a été un compositeur capable de conjuguer de manière magistrale des éléments populaires et savants, réalisme et romantisme, mélodie et drame, changeant à jamais l'histoire de la musique occidentale. Sa musique est capable d'émouvoir profondément et d'impliquer un public très large, des puristes de l'opéra aux passionnés de musique légère.
Le 28 mars 2025, vous dirigerez La Damnation de Faust de Berlioz en version concertante : quelles sont les différences pour vous, dans le travail et le résultat, entre cette forme (en concert) et une production mise en scène ?
La Damnation de Faust est essentiellement une légende dramatique, comme l’a défini Berlioz lui-même, ce n’est pas vraiment un opéra. C’est un travail théâtral qui repose sur un livret alternant, de manière absolument indépendante, récitatifs, airs, chœurs et moments orchestraux de grand impact, reliés entre eux par un fil narratif. Cela signifie qu’il se prête bien à une version concertante : cette forme donnera l'occasion à l'auditeur de se concentrer davantage sur la musique et sur les mots chantés.
Quel type de version de concert entendez-vous proposer à cette occasion : est-ce qu’il y aura une dimension théâtrale, ou une focalisation sur la vocalité ?
Il n’y aura pas de scénographie ni de mise en scène théâtrale, mais les artistes seront libres de se mouvoir et d’agir selon leur sensibilité particulière.
Qu’est-ce qui vous plaît et vous intéresse dans cette œuvre ?
Berlioz offre une vision très personnelle et originale du mythe de Faust : un mythe éternel qui, encore aujourd'hui, continue de fasciner et d’interroger. Berlioz expérimente dans cette œuvre des formes musicales et instrumentales innovantes, anticipant certaines caractéristiques de la musique moderne. Sa musique est riche en contrastes, en couleurs orchestrales et en mélodies mémorables. La "Marche hongroise" est peut-être le morceau le plus célèbre de l'œuvre, mais l'ensemble de la partition est un chef-d'œuvre d'écriture orchestrale. C’est un véritable voyage musical, qui nous emmène à travers des paysages sonores très variés, de la campagne hongroise à l’enfer, et la musique de Berlioz est capable de susciter une vaste gamme d’émotions, de la terreur à la joie, de la mélancolie à l’extase.
Quels ont été les critères et les envies artistiques menant à engager Saimir Pirgu, Erwin Schrott et Julie Boulianne pour incarner Faust, Méphistophélès et Marguerite ?
Les trois protagonistes principaux ont été choisis pour plusieurs raisons : la première, et la plus importante, a été de trouver des artistes capables d’affronter les pièges et les difficultés de rôles très complexes. La deuxième raison est qu’ils doivent tous trois posséder une personnalité artistique forte capable de rendre au mieux les profonds et violents contrastes que Berlioz exige de leurs rôles. Avec Schrott, nous avons une relation de grande estime et nous avons construit avec lui un parcours qui le verra souvent dans notre théâtre dans des rôles… diaboliques (mais je ne peux pas encore en dire plus).
Comment abordez-vous cette œuvre avec les phalanges musicales liégeoises ?
Berlioz impose un immense défi à l’ensemble de la compagnie artistique du théâtre : tant l’orchestre que le chœur sont sollicités pour affronter une partition parmi les plus complexes de l’ensemble du répertoire. La possibilité de programmer des œuvres complexes et difficiles comme celle-ci, mais aussi comme Rusalka la saison dernière, Tristan et Isolde en janvier prochain, la récente Kát’a Kabanová et d'autres à venir, est certainement un défi artistique considérable. La réponse que j’ai reçue des musiciens, du Chef des Chœurs Denis Segond qui fait un travail extraordinaire, et de chaque membre du chœur est vraiment exceptionnelle.
Qu’avez-vous déjà accompli avec les musiciens de l’Opéra de Liège depuis le début de votre mandat et quels sont vos objectifs ?
Mon objectif et celui de la Direction de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège était de créer un nouveau parcours musical pour le public de notre théâtre. Le projet était de s'approcher du grand répertoire européen en proposant des œuvres de Janáček, Dvořák, Wagner (et d'autres grands compositeurs pour les saisons à venir) sans jamais fermer la porte à celles, disons, “traditionnelles” (comme Mozart, Verdi, Rossini, etc.). Pour pouvoir programmer ce projet, il a fallu établir un très grand travail d'équipe. L'orchestre travaille à un rythme très serré et on peut désormais dire qu’il a trouvé son propre son. C’est un son doux, ductile, parfois incandescent, polyvalent et très timbré. Un son qui peut être qualifié de reconnaissable parmi les orchestres des nombreux théâtres d’opéra européens. Et le plus important est que ce son reste reconnaissable tout en affrontant des répertoires très éloignés et diversifiés. Mais ce travail n’a pas été que le mien. Le travail de relance et d’affirmation internationale a été effectué par tout le personnel du théâtre : le secteur artistique, le personnel technique, l’administratif, la gestion du personnel : toute une grande famille dirigée par un directeur qui regarde toujours au loin, jamais à court terme. Il pense à créer un public pour le futur et à ouvrir de nouveaux horizons à notre public. C’est une famille qui évolue, qui construit et qui pose les bases pour laisser, à l'avenir, un théâtre plus international et plus ouvert à tout type de répertoire et de spectacle. Et la toute récente nomination aux International Opera Awards 2024 est la preuve que même dans le reste du monde, on a remarqué et reconnu cet extraordinaire projet.
Retrouvez également notre interview inaugurale du Directeur musical Giampaolo Bisanti