Requiem de Verdi opératique à Aix
Dans cette version aixoise du Requiem de Verdi, l’enjeu semble être pour Jérémie Rhorer, placé à la tête de cette grande œuvre, de rester dans les limites de l’absolu théâtral romantique, avec sa rangée d’émotions et d’expressions, de l’effroi à l’espérance. Il s'agit de faire du langage opératique de Verdi un choc émotionnel, pour offrir une musique qui permette à l’être de se relever et d’espérer face à la conscience de la finitude et du Jugement Dernier, omniprésent dans cette Messe pour les Morts. La juxtaposition précise et parfois tendue des tempi, des textures et des couleurs de chaque entité permet l’ajustement équilibré et dynamique entre les sonorités diaphanes, les grandes avancées rythmées, les attaques soudaines et les plages homogènes, comme cet unisson fervent dans l'Agnus Dei.
Avec Jérémie Rhorer à la baguette, la musique semble émaner d'un silence profond, d'un recueillement intérieur. Il tient comme dans le creux de ses mains les trois grandes entités musicales (solistes, chœur et orchestre) par une battue simple, lisible, équilibrée, symétrique, sans artifices visuels, comme de grandes pierres parfaitement taillées. Il sécurise les enchaînements de la partition en accentuant leur continuité, à la manière narrative de l’oratorio. Le chef semble suivre deux pistes sonores : l’évanescence et sa cristallisation, le ciel et la terre, comme deux formes d’existence de la musique théâtrale et spirituelle pour chœur et orchestre.
L’ensemble sur instruments d’époque Le Cercle de l’Harmonie fait résonner la mosaïque sonore de ses différentes sections. Les cuivres sont parfois divisés de manière stéréophonique en galerie, peut-être en hommage à la tradition baroque italienne, ou à la musique française de plein air révolutionnaire. Dans les deux cas, l’échelle monumentale fait contraste avec une petite harmonie aux contours précis, mêlant ses caresses sonores à celles des violoncelles.
La soprano Axelle Fanyo fait de ses passages de registres un outil dramatique saisissant, comme les ondulations d’une ligne flamboyante, orientée vers le ciel. Elle y pose une première note, puis laisse s’étendre la projection vers les larges voûtes de sa voix longue, puissante et consolante.
La basse Alexander Tsymbalyuk offre son timbre caverneux à la partition. Tantôt obscure, tantôt lumineuse, sa voix de caractère donne au texte sa majesté profonde.
La mezzo Agnieszka Rhelis déplie la ligne homogène de sa voix, à la faveur de ses échanges serrés avec ses partenaires. Seule, elle se fait récitante grave et fière, dans la puissance généreuse de l'invocation qu'elle sert.
Le ténor Ivan Magrì module un vibrato plus ou moins serré et irisé, parfois résiduel, pour pousser le chant vers l’aigu ou ne pas détimbrer dans les passages mezzo piano. La diction s’allie à la projection tandis que le timbre incarne le juste équilibre entre harmoniques graves et aigües.
Ce quatuor, aux voix solidement caractérisées, est pourtant souvent recouvert par les forces conjointes des tutti, comme si Jérémie Rhorer souhaitait en faire l’émanation de la totalité monumentale de la partition, et non une entité autonome ou supérieure. Le Chœur de jeunes de l'Académie Audi déploie nonobstant ses pianissimi planants, et ses fortissimi tonnants, d’une seule voix, pleine ou transparente, juvénile ou grave. Il trouve dans les passages a cappella le noyau pur du son, dans les passages fugués son relief, et dans les tutti son écorce rude.
Le public du Grand Théâtre de Provence (lieu de résidence du Cercle de l'Harmonie) applaudit et rappelle longuement les différents protagonistes impliqués dans l’espace tragique d’une partition qui, à l’image de la vie humaine, s'envisage dans le temps long.