Lisette Oropesa, de Genève à Cadix et Cuba
Peu après New York, où elle a donné au Carnegie Hall un récital dédié à la culture latine, et avant de partir à Madrid pour une prochaine production de Maria Stuarda, c’est sur les bords du Léman, au Grand Théâtre de Genève, que Lisette Oropesa fait étape pour livrer un récital qui invite lui aussi au grand voyage. Et le programme annoncé a de quoi faire se mouvoir et s'émouvoir d’avance le public venu en (grand) nombre.
Cela en fait, du monde, pour une excursion en classe grand luxe qui prend d’abord une consonance très latine : grâce à Ravel (avec sa Chanson espagnole et sa fameuse Vocalise en forme de Habanera), Delibes (et ses incontournables Filles de Cadix), Massenet (Chanson andalouse et Sevillana), ou encore Bizet et ses Adieux de l’hôtesse arabe.
Sans oublier Meyerbeer et son Robert le Diable qui, avant l’entracte, fait déjà le lien avec la deuxième partie de spectacle bien plus opératique-italienne. Y sont conviés Donizetti et L'Élixir d'amour (air “Prendi, per me sei libero”), Verdi et plusieurs de ses mélodies et romances, ainsi qu’un extrait des Vêpres siciliennes dans sa version française (“Merci, jeunes amies”).
Un menu conséquent en somme, que la soprano vedette dévore avec un appétit qui semble plus que jamais venir en chantant. L’interprète confère à chaque mot tout son sens, à chaque émotion tout son poids, qu’il s’agisse d’évoquer l’amour, la peine, le rêve ou le regret. De cette Andalousie dont il est d’abord question, l’artiste restitue la chaleur et l’âme, dansante et enivrante, d’une voix aussi large que les jardins de l’Alcazar, avec un timbre aussi chaud et fleuri qu’une rue du vieux Cadix. Il y a aussi ce soleil, éclatant, qui émane d’aigus hardis mais tout en maîtrise, ici triomphaux, là presque susurrés, mais toujours d’une implacable tenue sonore. Le public s’en délecte, applaudissant après chaque mélodie cette artiste n’hésitant pas, à l’occasion, à esquisser quelques pas de danse chaloupés.
De l’opéra à la zarzuela
Le passage par l’Italie se fait avec une égale conviction poétique et un même art consommé de la prosodie. La ligne de chant est aussi solide que virevoltante, au gré des sauts de nuances, sur un legato d’airain, avec des graves d’une soyeuse rondeur et des aigus comme suspendus.
À ces airs qu’elle connaît si bien, pour en avoir interprété la plupart en scène et gravé au disque, la soprano ajoute trois bis qui, après un programme pourtant déjà fourni, ne trahissent aucun essoufflement, sinon un plaisir toujours aussi évident de chanter encore et toujours. Et s’il y a encore de l’opéra, avec les valses de Juliette puis celle de Musetta, il y a aussi un envol direct pour La Havane, via la zarzuela María la O du cubain Ernesto Lecuona, ici servie par une voix plus vibrante et habitée encore par cet esprit latino qui vient réchauffer les cœurs et les âmes.
Un transport par la musique qui doit aussi beaucoup à la prestation non moins enjouée et virtuose d’Alessandro Praticò au piano, aussi rigoureux dans ses manières d’accompagner la voix avec des tempi et nuances idoines, que dans des emplois de soliste, avec une Sevillana d’Albéniz ou la Chanson de printemps de Mendelssohn à l’interprétation riche de technique de jeu et de sensibilité.
Après deux heures d’un spectacle sans temps faible, le public salue longuement, et debout, la cantatrice finalement aussi souriante qu’émue, les traits un peu plus fatigués qu’au début du concert, mais le visage au sourire inchangé. Et pleinement communicatif.