Sonya Yoncheva en Marie-Antoinette à la Philharmonie de Paris
Pourquoi Marie-Antoinette ? Il se trouve que la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, qui épouse le dauphin et futur Louis XVI alors qu’elle n’a que 14 ans, a suivi de près la carrière parisienne de Gluck : le compositeur lui dédiera même la partition de la nouvelle version d’Orphée et Eurydice créée en août 1774. Comme le note Denis Morrier dans la préface du programme : “Entre son arrivée à Paris et son départ forcé de Versailles, lors des journées des 5 et 6 octobre 1789, Marie-Antoinette aura présidé à la création de quarante-six spectacles musicaux (opéras, opéras-comiques et ballets), vingt-deux ayant été représentés à Versailles et vingt-quatre autres à Fontainebleau.” Le programme de ce concert replonge ainsi dans cette époque, jusqu'à son impressionnant final : le Rondo de Vitellia dans La Clémence de Titus (créée le 6 septembre 1791 au Stavovské divadlo de Prague, pour le couronnement du roi de Bohême Léopold II - le frère de Marie-Antoinette).
William Christie, d’un geste assuré et d’un pas léger (il dansera à son pupitre la quasi-totalité du programme), lance la soirée avec l’ouverture de La Finta giardiniera. Le ton est donné immédiatement : Les Arts Florissants assument avec gourmandise et vivacité cette musique de l’Ancien régime finissant, donnant à Mozart une fluidité et une légèreté rafraîchissante.
L’ensemble trouvera, par exemple dans le "Ballet des Ombres heureuses", un son lisse et fondu à souhait, avec des suspensions de phrases langoureuses tandis que la flûte allemande de Serge Saitta porte la simplicité et la pureté de la ligne mélodique de Gluck à son paroxysme.
À l’inverse, dans la "Danse des Furies", extrait de la même œuvre, les cuivres, de leurs accents judicieusement marqués, entraînent tout l’orchestre dans un rythme effréné, grâce à des progressions étourdissantes, rendant justice à ces dissonances osées et à ces accords étonnants. Les cordes, par leur vélocité, tissent un tapis fluide, homogène et précis à cette scène virevoltante.
Sonya Yoncheva paraît enfin, dans une robe en mousseline corail qui la situe d’emblée dans son rôle de diva, dont elle joue avec des mimiques savoureuses qui parfois confinent à la minauderie. Son art du chant est cependant immédiatement mis en évidence, tout d’abord par la longueur et la puissance de son souffle, qui donne à ses phrases une assise assurée et roborative et lui confère une conduite de ligne superlative et appréciée par son public de fans (ils sont nombreux dans la salle).
La soprano bulgare chantera tout le programme d’une voix toujours fraîche et souple, à la ligne toujours parfaitement tenue, avec un souci dans la construction des sections très poussé et une musicalité à fleur de peau, en distillant à l’envi des aigus à la fois solaires et entiers qui lui vaudront une ovation finale consistante
Jonglant à l’envi avec les effets, elle dose son volume avec beaucoup de maestria. Les couleurs fruitées et riches de son médium, et l’épaisseur de son timbre dans les passages les plus lyriques, constituent des atouts indéniables pour passer sans sourciller d’Alceste à Médée, de la Didon de Piccini à Armide. Tragédienne, elle campe en quelques phrases un personnage crédible et envoûtant, même si elle se laisse aller parfois à des accès de cabotinage en surenchérissant un peu le côté tragique des situations qu’elle dépeint. Le public lui pardonne volontiers ces excès tant les aigus sont rayonnants et ancrés, et le velouté du timbre agréable aux oreilles.
Seuls certains graves poitrinés à l’excès et un peu appuyés sonnent mats et un peu ternes. La ductilité de son ruban vocal est telle que certaines consonnes disparaissent, laissant certains mots à l’abandon.
Une ovation dès l’entracte confirme bien son statut de star auprès d’une partie du public, et elle revient après la pause dans une robe blanche étincelante tissée de broderies et de brillants digne du bal de Cendrillon (ou plutôt de Versailles en l’occurrence). Elle chante alors notamment deux airs très simples que Marie-Antoinette affectionnait particulièrement, d’abord le gracieux "C’est mon ami" de Louis-Claude-Armand Chardin qui dépeint les amours d’une bergère, puis le célébrissime "Plaisir d’amour" de Johann Paul Aegidius Martini, orchestré par Berlioz, et qui a traversé les siècles jusqu’aux chanteuses réalistes d’entre-deux-guerres et des reprises par des stars de la pop.
Seront d'ailleurs repris en bis les deux chants préférés de la malheureuse reine, à la fin aussi tragique que celle d’Iphigénie qui dans son air décrit un sort qui a dû résonner aux oreilles de Marie-Antoinette dans les moments les plus sombres de sa vie : “Vous n’avez plus de rois, je n’ai plus de parents….”