Nuit à l’opéra, pas de frayeurs au Festival de Dinard
Dans un programme alliant "humour, amour, inconstance et liberté" (selon les mots de Yann Ollivier, directeur artistique du Festival), sont réunis trois lauréats du programme Génération Opéra, pour faire partager de grandes pages de l’histoire du chant lyrique au public dinardais.
Le programme, ce soir, est avant tout un panorama du répertoire, des voix et des humeurs. Il se veut enlevé, rythmé, pensé pour un public itinérant et curieux. Car celui de Dinard est presque marathonien : Yann Ollivier conçoit un véritable voyage, en cinq jours, de soirées et nocturnes de musique, passant par les negro spirituals, les Variations Goldberg, Debussy, et du ballet contemporain. Voyage de nuit donc, itinérance à travers les styles et les époques, en marquant un arrêt du côté des grandes voix en ce point médian du Festival.
Héloïse Poulet interprète (entre autres) “Non, Monsieur mon mari” de Francis Poulenc, où se découvre toute la richesse de son jeu. Elle incarne un personnage vivant, drôle et plein de caractère, sans pour autant détourner l’attention de sa voix : un timbre riche et velouté, d’une grande maturité. Un léger manque de liant entre ses aigus et le reste de son instrument peut être dû à un inconfort momentané. Cela n'entache pas pour autant la qualité de sa prestation, brillante d’expressivité et de maîtrise technique. En outre, son usage de la voix de poitrine est appréciable dans l’air de Juliette, “trembler est un manque de foi”, apportant profondeur et corps au personnage, le tout avec une diction impeccable et un phrasé limpide.
Face à elle, Juliette Mey (Révélation lyrique de cette année aux Victoires de la musique classique) décline un véritable exercice de style à la Raymond Queneau : tantôt Lazuli, jeune amoureux dans L'Étoile d’Emmanuel Chabrier, tantôt Cherubino, jeune amoureux dans Les Noces de Figaro, avant de triompher en Cenerentola, rôle phare de son répertoire. La jeune chanteuse y fait preuve d’une très grande agilité dans les coloratures virtuoses. Ses vocalises sont soignées, et chaque note est parfaitement posée, dans les médiums comme dans les aigus, le tout avec une solide maîtrise du souffle. Malgré quelques tensions visibles dans sa mâchoire sur certains aigus, comme jetés sans grande précaution, Juliette Mey reste déjà fidèle à sa réputation, par la richesse de son chant et sa présence scénique, toute naturelle et musicale, notamment dans son dialogue avec Rodolphe Lospied, pianiste accompagnateur.
Celui-ci joue une pièce en soliste, Improvisation n°15 de Francis Poulenc. D’une main droite délicatement enlevée, il pose quelques traits mélodiques pas tout à fait fondus dans l’accompagnement à la main gauche, apportant un joli relief à l'œuvre.
Enfin, Matthieu Walendzik, baryton au timbre encore jeune, paraît malheureusement sous tension, en difficulté visible. Il propose un Figaro à court de souffle, éparpillé, presque précipité. Peut-être trop impliqué dans son jeu scénique, peut-être mal à l’aise avec l’acoustique de la salle (Théâtre Debussy, Palais des Arts et du Festival), il paraît fébrile, se décale de l'accompagnement par moments, et hache certains aigus, sortis de manière forcée. Pourtant, plusieurs reprises de belles sonorités laissent poindre une profondeur de voix certaine, et présagent de beaux graves. Sa prononciation du français, de l’allemand et de l’italien sont très appréciables, et s’il manque parfois d’assise sur certaines zones de sa voix, il compense par une palette de jeu très riche, passant aisément du Figaro désabusé au Papageno chantant sa joie.
Longuement acclamé par le public, ce panorama vibrant de grands airs d’opéra explorés à travers quelques scènes de ménages délicieusement choisies se conclut cette fois-ci sans l’ombre d’un fantôme : Andrew Lloyd Webber n’a qu’à bien se tenir !