L’Amour du chant (Opus 1) à l’Opéra Comique
Si George Benjamin m’était conté….
Pour cette Pléiade, carte blanche a été donnée au compositeur, présent dans la salle, qui a choisi pour l’occasion deux interprètes, figures de son répertoire : le baryton Stéphane Degout et le pianiste Cédric Tiberghien. Les deux artistes ont concocté avec Benjamin un programme exigeant et varié, autour des grands compositeurs qui ont marqué l’apprentissage du musicien anglais, à savoir Debussy, Berg et Ravel…
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En tissant cette relation entre les compositeurs fondateurs de la musique moderne et l’écriture de George Benjamin, les trois complices ont également convié trois membres de l’Académie de l’Opéra Comique : la soprano Michèle Bréant, la mezzo-soprano Léontine Maridat-Zimmerlin et la pianiste Ayano Kamei.
C’est Michèle Bréant qui ouvre la soirée avec Les Fêtes Galantes de Debussy, proposant de gracieux sons filés, dotés d’un souffle long qui s’affirme de pièce en pièce : après une entrée timide à l’intonation fragile, la soprano s’épanouit dans Fantoche et dans l’extatique Clair de lune qu’elle vivifie d’un phrasé solidement construit. Le Nachtigall de Berg sera marqué par les mêmes qualités malgré une légère irrégularité dans la conduite de sa ligne de chant.
Léontine Maridat-Zimmerlin offre, dans Berg ou dans Debussy, une diction qualitative, un médium rond et charnu, une projection homogène et stable, des aigus rayonnants et souples ainsi qu’un sens du texte et du phrasé éloquents, avec notamment une Chevelure de Debussy particulièrement érotique et prenante. Seul bémol à ses Sieben Frühe Lieder de Berg : l’allemand (dans le Schilflied par exemple) aurait mérité un mordant plus incisif et une germanité plus organique.
La pianiste Ayano Kamei, qui accompagne les deux chanteuses, déploie des nuances contrastées et une articulation nette et délicate, même si elle peut encore perfectionner le fondu du son avec le timbre et le phrasé des autres interprètes.
Cédric Tiberghien escalade et dévale les arpèges subtils de Debussy et de Ravel avec une gourmandise évidente, délivrant une articulation parfois franche et massive, parfois aérienne et irisée, étayant le tout de belles constructions de pièces savamment charpentées, avec éclat et fougue. Ses phrases, parfois pétillantes et légères, parfois noires et puissantes, sont toujours pensées dans le sens de l’accompagnement du chanteur et non l’inverse.
Dans l’unique pièce pianistique soliste du programme, signée de George Benjamin lui-même et intitulée Shadowlines, Tiberghien défend âprement la composition atonale mystérieuse, aux rythmes très bousculés et alternant des épisodes presque minimalistes avec des fragments intenses et éminemment pianistiques.
Stéphane Degout démontre à chaque intervention la solidité et la majesté de son instrument, passant des phrasés chuchotés, à des moments de lyrisme ample et assumé, avec une musicalité soutenue, une gestion du volume élaborée, une diction claire. Il jongle avec toutes ses qualités vocales reconnaissables : une belle égalité des registres, des aigus clairs et puissants à la fois, un lyrisme de bon goût et jamais débraillé. Les Histoires Naturelles de Ravel emportent l’auditoire par l’inventivité théâtrale qu’il y instaure, par la simplicité et la clarté des intentions qu’il multiplie, par la qualité de sa prononciation et par l’humour pétillant qu’il y distille sans lourdeur ni démonstration.
Une belle salve d’applaudissements, d’un public attentif, vient saluer ce récital délicat et absorbant.