2 voix - 2 pianistes en récital à l’Opéra National du Rhin
Le concert avait été annoncé comme un récital de Stéphane Degout et d’Alain Planès, et c’est finalement un concert à deux voix et deux pianistes qu’a pu suivre le public de l’Opéra national du Rhin, très fourni pour ce soir. Le baryton français se taille néanmoins la part du lion, en affichant en début et en fin de programme les deux cycles annoncés de longue date, le Liederkreis (cercle de chants) de Schumann et les Vier ernste Gesänge (Quatre chants sérieux) de Brahms, deux des grands sommets du répertoire du Lied allemand même si le premier n’est pas le plus connu des grands cycles schumanniens. Il est suivi de six Lieder du même compositeur, interprétés par le jeune ténor écossais Glen Cunningham, tous extraits du cycle Myrthen. Belle occasion de contraster les pages consacrées aux affres, aux angoisses et aux émois de l’amour romantique tels qu’ils s’expriment dans le Liederkreis, aux petits trésors d’humour et de légèreté qu’offrent les pièces mises en musique par le poète écossais Robert Burns dans la traduction de Wilhelm Gerhard. La première partie du concert s’achève sur la réunion des deux livres des Fêtes Galantes de Debussy datant respectivement du début des années 1890 et de 1904, le premier étant interprété par le ténor et le deuxième par le baryton.
Mêmes principes d’alternance pour la deuxième partie du programme, avec tout d’abord une partie française consacrée à Fauré puis une partie allemande dédiée à Brahms, la partie française se voyant confiée au baryton puis au ténor. Stéphane Degout, qui semble décidément prendre goût aux grands cycles du répertoire du Lied et de la mélodie, se charge de L’Horizon chimérique, et Glen Cunningham propose quant à lui une sélection de mélodies d’un caractère plus léger qui servent idéalement le soleil légèrement ombré de son agréable voix de ténor. Brahms permet d’achever le concert sur une note plus sombre, mettant à mal et à juste titre le principe selon lequel un récital de chant devrait systématiquement s’achever sur du léger et du brillant.
Même les bis suivent un ordre savamment calculé. Le premier, la ravissante chanson écossaise Ae fond kiss and then we sever, sur un texte une nouvelle fois de Robert Burns, est évidemment confié à Glen Cunningham, en compagnie ensuite de son partenaire pour le duo de Fauré Puisqu’ici-bas toute âme, initialement conçu pour deux voix de soprano. Stéphane Degout conclut la soirée avec le véritable tube du répertoire de la mélodie française, les célèbres Berceaux de Fauré au titre particulièrement bien choisi pour renvoyer dans ses pénates un public enthousiaste, prêt à en redemander encore et encore.
L’enjeu d’un tel concert n’est bien évidemment pas de confronter dans de pareilles circonstances un chanteur doté d’une expérience de près d’un quart de siècle et un jeune collègue encore en début de carrière. Il s’agit d’apprécier le côté chaleureux et sympathique de l’entreprise intergénérationnelle, qui permet à la fois de souligner ce que les deux chanteurs ont en commun mais aussi tout ce qui les sépare : le bronze et les chaudes couleurs du baryton français, l’instrument plus léger du ténor écossais. Ce dernier, avec ses voyelles excessivement ouvertes et son timbre relativement blanc, mais aussi son style légèrement affecté, entre de plein fouet dans la catégorie de ces ténors britanniques qui ont fait le bonheur des grands compositeurs anglais du vingtième siècle (Peter Pears, Ian Partridge, Ian Bostridge, Mark Padmore et bien d’autres encore). À n’en pas douter, Glen Cunningham a un bel avenir dans les opéras de Benjamin Britten, qu’il a d’ailleurs déjà servis. Pour le moment, sa diction allemande et française empruntées l’empêche de délivrer le répertoire du lied et de la mélodie avec le naturel et la simplicité attendus en complément d’une lecture détaillée et informée du texte.
Le cycle schumannien donné en début de concert atteste quelques difficultés pour Stéphane Degout à stabiliser la ligne vocale. Il est vrai également que le piano d’Alain Planès se fait légèrement accaparant pour ces pages du romantisme allemand, où il s’agit d’être à la fois omniprésent et en retrait. L’osmose est bien plus accomplie dans les pages de Debussy, pour atteindre un sommet avec L’Horizon chimérique de Fauré. Dans les tonalités bibliques et prophétiques des Vier ernste Gesänge, Degout est véritablement dans son élément. Elias de Mendelssohn n’est pas loin.
Anna Tilbrook ne fait nullement pâle figure au piano. Son jeu perlé et élégant, d’une grande aisance et d’une infinie luminosité, contraste avec les colorations plus sombres et plus profondes de son collègue français, interprète que le public aurait sans doute souhaité entendre dans une ou deux pièces solistes. Il est vrai cependant qu’avec deux récitals en un, le programme de la soirée était déjà bien fourni. Le public aura en tout cas chaleureusement manifesté son enthousiasme et sa reconnaissance, pour une soirée qui tendrait à démentir qu’il n’y a plus d’avenir pour le récital chant et piano. Une soirée comme celle-ci montre également qu’il y a indéniablement une relève.