L'Uomo Femina à Dijon : l'Opéra mélange les genres
Dans cette œuvre littéraire de Pietro Chiari mise en musique par Baldassare Galuppi, deux naufragés masculins échouent sur une île où les femmes dominent les hommes, réduits à un statut de soumission et de frivolité. Souveraine, la princesse Cretidea multiplie les amants et manipulations, avec une assurance sans faille. Son empire est toutefois bouleversé parce qu'y résiste le naufragé Roberto.
Agnès Jaoui déploie cette lutte en une satire extrêmement vivante. Le décor sobre mais éloquent d'Alban Ho Van opte pour une toile de fond translucide, permettant des jeux de projections qui accentuent l’ambiguïté de ce monde inversé, pour mieux dévoiler, dans un second temps, le somptueux palais de Cretidea.
Les lumières de Dominique Bruguière alternent ombre et éclat, soulignant la dualité des émotions. Pierre-Jean Larroque propose des costumes qui forcent le trait de la satire, offrant aux personnages masculins une allure coquette, délicate et fragile, tandis que les femmes adoptent une posture imposante et virile. Le jeu scénique, dynamique et empreint d’humour, souligne les tensions mais aussi la légèreté de la pièce, propulsant le spectateur dans une sorte de rêve baroque.
Eva Zaïcik incarne la princesse Cretidea d'une manière puissante et vigoureuse, avec une voix mélodique et douce qui se mue en une force ferme et dominante dans les moments clés de tension (donnant d'autant plus de relief à cette "inversion des normes" qui n'est toutefois pas si rare à l'opéra).
Lucile Richardot prête à Ramira une voix rude et très grave, jouant justement sur tout ce qu'elle peut y prêter de "masculin", contrastant d'autant plus habilement et avec autorité avec le reste du plateau.
Victoire Bunel, en Cassandra (autre confidente de Cretidea) apporte une touche de fragilité et de tendresse tout en maintenant son registre dans une tonalité clairement opératique.
Victor Sicard interprète Roberto avec un timbre léger qui se distingue par sa douceur et sa qualité de diction. Son jeu fluide et théâtral capte l’attention en figure du rebelle séducteur. François Rougier, dans le rôle de Giannino (l'autre naufragé), adopte un timbre plus frontal et intense, renforçant le contraste avec Roberto.
Enfin, Anas Séguin, en Gelsomino (favori de Cretidea), impressionne par son baryton puissant aux ornements vocaux captivants et un jeu scénique éloquent qui confère au personnage une intensité particulière.
Les chœurs enrichissent la production par une présence équilibrée et des voix bien intégrées à l’ensemble, offrant ainsi un cadre sonore solide et harmonieux.
Sous la direction de Vincent Dumestre, l’Orchestre du Poème Harmonique lance la pièce par une ouverture vibrante et pleine d’énergie, qui plonge immédiatement le public dans le bain. Chaque partie est conduite avec une précision qui souligne l’émotion de la musique de Galuppi, passant de moments de douceur mélancolique à des passages de tension dramatique. Son jeu s’adapte en toute cohérence avec les parties vocales, pour s’intégrer harmonieusement au spectacle.
Le public visiblement séduit réagit avec enthousiasme, entre rires et réflexions, à cette fable féministe et mordante qui, bien que datant du XVIIIe siècle, trouve ici une résonance des plus actuelles.