La Traviata au Spa d'Avignon
Pour sa première mise en scène lyrique (déjà chroniquée à l'Opéra de Limoges), Chloé Lechat transpose l’histoire dans le présent, sur une île méditerranéenne prisée par la haute société. L’intrigue se déroule ainsi dans ce monde superficiel que Violetta a choisi pour ses derniers jours, entourée de gens qui se soucient fort peu ou même pas du tout de son bien-être. Au lever du rideau, les décors d’Emmanuelle Favre (repris par Anaïs Favre) plongent dans une villa immaculée, avec piscine intérieure et vue sur la mer. Dès l’ouverture, la fête bat son plein, et l’indifférence envers la santé fragile de Violetta est palpable. Pour trouver du repos, elle est placée dans un SPA au deuxième acte et, au troisième, sur un grand lit en forme de pierre tombale, symbolisant la fin imminente de l'héroïne.
Chloé Lechat souligne la domination masculine et la solidarité féminine en mettant notamment la famille Germont au cœur de son approche grâce à l'ajout de figurantes. La sœur d’Alfredo, brièvement mentionnée dans le livret original, devient ici un personnage clé mais qui vient d'autant plus "perturber" le bonheur conjugal d'Alfredo et Violetta qu'elle passe prendre des chaussures pendant des épisodes de chant poignant, tandis que la grand-mère passe en fauteuil roulant pour sa part. Cela, ajouté à la transposition, et au contraste entre costumes d'aujourd'hui et costumes d'époque (signés Arianna Fantin) pour le bal, expliquent l'accueil réservé à la metteuse en scène : mitigé, ponctué de huées lors des saluts.
La Traviata est incarnée par la jeune soprano russe Julia Muzychenko, de retour à l’Opéra Grand Avignon deux ans après sa prestation remarquée dans La Somnambule de Bellini. Elle campe une Violetta à la voix puissante et riche en harmoniques, qui lui permet de remplir facilement la salle. Son timbre brillant et l’agilité de son registre colorature, en plus du contrôle vocal dont elle fait montre, lui permettent d’offrir au public un chant joliment orné, plein de nuances, avec des piani très délicats, mais placés, et des forte retentissants. Son jeu, d'abord sensuel, évolue vers une caractérisation touchante, vulnérable et profondément amoureuse d’Alfredo.
Alfredo Germont est interprété par le ténor originaire du Wisconsin, Jonas Hacker. Sa voix brillante et douce, aux aigus d'apparence facile, est appuyée sur un vibrato très présent et des voyelles ouvertes mais toniques. Sa voix semble un peu étouffée lors du premier acte et son jeu théâtral paraît un peu timide, mais il prend de l’assurance au fur et à mesure. Ses aigus sont bien soutenus, bien que manquant de flamme, et ses quelques hésitations sont comblées par son investissement jusqu'à atteindre une ampleur vocale en duo.
Le père d’Alfredo, Giorgio Germont, est interprété par un autre habitué de l’Opéra Grand Avignon, le baryton roumain Serban Vasile. Sa voix est grave et chaude, large et stable, sonore dans toute la gamme, accompagnée d’un phrasé très élégant. Sa présence scénique, solennelle et imposant le respect, traduit un caractère rigoureux mais aussi aimant et compatissant. Il reçoit aux saluts des acclamations des plus enthousiastes.
Après Don Geronio, dans Le Turc en Italie de Rossini, la saison dernière, le baryton italien Gabriele Ribis revient à l’Opéra Grand Avignon, en Baron Douphol, protecteur de Violetta. Il donne à son personnage une voix ronde et bien couverte, un timbre clair et fin, précision et projection. Malgré ses courtes interventions, il se montre très investi et expressif.
L’amie de Violetta, Flora Bervoix, est interprétée par la mezzo-soprano française Albane Carrère, d’une voix chaude et ronde, aux jolis aigus, avec aisance scénique. Annina, la camériste de Violetta, a la voix claire et soyeuse de Sandrine Buendia, appuyée sur une bonne ouverture des voyelles et un vibrato très présent et rapide.
Geoffroy Buffière interprète le docteur Grenvil d’une voix grave, soyeuse et légère, qui craque pendant une courte phrase au bord du plateau et dont le vibrato tend à s'aplatir au troisième acte, lors de ses phrases chantées depuis le fond de la scène. Gaston, le Vicomte de Létorières, est interprété par le ténor Kenny Ferreira d’une voix vibrée et avec un jeu théâtral manquant légèrement de subtilité au début. Le baryton-basse québécois Dominic Veilleux interprète le Marquis d’Obigny avec une voix grave, ronde et bien soutenue.
En Giuseppe, Cyril Héritier dispose d’une voix claire au timbre un peu métallique, avec là encore un jeu scénique assez désinvolte. Le baryton Alain Iltis joue le rôle d’un domestique d’une voix ronde et large, en y ajoutant de l'expressivité. La basse Saeid Alkhouri impose le respect en commissionnaire, d’une voix charnue et perçante.
Malgré quelques petits décalages avec l’Orchestre au début, le Chœur de l’Opéra Grand Avignon installe sa coordination et son expressivité, produisant un son homogène et puissant qui transmet l’essence festive et dramatique de la partition verdienne.
Federico Santi dirige l’Orchestre National Avignon-Provence avec précision, d'une battue ferme ou fine et délicate, selon les passages. La phalange offre en retour un jeu plein de nuances, traduisant la sensibilité exprimée par le chef.