Le Domino noir emplit de couleur la rentrée de l’Opéra Comique
Sous la baguette du Directeur des lieux, Louis Langrée, l’Ouverture est d’emblée marquante par son efficace fluidité, sa dynamique soignée. De quoi plonger immédiatement le public dans une ambiance de fête, avec l’apparition des personnages déguisés en "dominos", suscitant rires et légèreté (un jeu de mots car le Domino de l’histoire est un manteau, déguisement de carnaval qui cache la mystérieuse Angèle de Olivarès, se voyant ensuite recherchée telle une Cendrillon).
Valérie Lesort et Christian Hecq proposent une mise en scène inventive (reprise par Laurent Delvert) où les décors prennent vie de manière inattendue. La scénographie de Laurent Peduzzi allie la vitalité et le charme. Une horloge gigantesque ouvre le bal au premier acte (symbolisant le temps qui presse les décisions d’Angèle). La maison du comte Juliano avec un imposant sapin de Noël pour l'acte II dépeint l’opulence et le festif, tandis qu'un couvent somptueux avec des statues animées pour l'acte III offre un cadre à la fois mystique et théâtral. Les costumes de Vanessa Sannino impressionnent par leur diversité et créativité : des tenues de bal légères flottant comme des bulles dans les airs, un costume de cheval ou des habits de nonnes aux coiffes emblématiques (au point qu'elles sont même reprises par le personnel d’accueil).
Les marionnettes, réalisées par Carole Allemand, ajoutent une dimension fantaisiste, parfaitement intégrée au style visuel de l'ensemble. Des cochons qui se réveillent aux tables qui dansent, chaque élément est pensé pour surprendre et divertir.
Christian Pinaud rehausse chaque scène avec ses lumières aux dynamiques ajustées, jouant sur les contrastes entre la fête du bal et l'ambiance angélique du couvent. Glyslein Lefever propose des chorégraphies fluides et surprenantes, telles ces nonnes volant dans les airs.
Anne-Catherine Gillet incarne le rôle d’Angèle de Olivarès. Sa voix au timbre chaud et sa technique très agile s'adaptent à chaque situation, jusqu'à la douceur captivant l'auditoire par son accent angélique mais aussi dans un énergique esprit de rébellion.
Cyrille Dubois apporte une profondeur émotionnelle au rôle de son soupirant Horace de Massarena. Sa voix dynamique et son jeu scénique comique mènent vers une fragilité touchante, offrant une palette d'émotions nuancées.
Victoire Bunel, en Brigitte de San Lucar, allie timbre chaleureux et placement vocal précis, sans négliger la dimension tragique et passionnée de cette autre religieuse novice.
Léo Vermot-Desroches, dans le rôle du Comte Juliano, fait preuve d’une grande maîtrise. Sa voix de ténor, au timbre chaud et à la puissance équilibrée, s’harmonise pleinement avec l’orchestre, renforçant le caractère du personnage. Son jeu scénique dynamique en fait un bel allié d'Horace.
Marie Lenormand, sa gouvernante Jacinthe, se démarque par son jeu scénique extrêmement comique et maîtrisé, à l'image de son chant à la diction claire et non moins puissante, communicative.
L’amoureux de Jacinthe, Gil Perez, est incarné avec justesse par Jean-Fernand Setti, même dans l'ivresse d'une voix écrasante et d'une présence scénique humoristique.
Sylvia Bergé, sociétaire de la Comédie-Française incarne efficacement Ursule (la sœur jalouse aspirant à devenir abbesse) d'une voix sombre et sérieuse faite de reliefs mais sans caricature.
Laurent Montel (Pensionnaire à la Comédie-Française) n'est pas moins efficace et volontaire en Lord Elfort (attaché à l’ambassade d’Angleterre), sans oublier Isabelle Jacques (La Tourière) au placement classique, et Laurent David (membre des Éléments), d'une brève mais chaleureuse déclamation dans le rôle de Melchior.
Louis Langrée maintient durant tout le spectacle son sens du timing et de la finesse, avec équilibre et limpidité. L'alliage de l'Orchestre de chambre de Paris avec les solistes et le chœur est marqué par l'harmonie. Ce chœur, Les Éléments (dirigé par Joël Suhubiette) apporte un soutien efficace, ajoutant des textures vocales à l'ensemble.
Le public ne cache pas son enthousiasme, saluant chaleureusement chaque interprète. En fin de soirée, Louis Langrée est décoré des insignes de commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres par François Henrot (l'un des cinq "Ambassadeurs de l’Opéra-Comique").