Thaïs à Saint-Étienne, pro-fête en son pays
La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, également en charge des décors et costumes (réalisés par les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne), quitte les terres égyptiennes du IVe siècle pour une atmosphère évoquant les cabarets des Années Folles. Le premier acte plonge cependant dans un monastère austère, avec ses moines et une immense croix flottante sur fond d'écran monochrome, épuré à l'extrême.
Mais ce décor cède ensuite la place à un cabaret aux couleurs d’autant plus vives et aux lumières éclatantes.
Nicias va jusqu'à violer Thaïs, qui se scarifie le visage en un sourire permanent, afin de se libérer du poids de sa beauté et pour échapper aux regards lubriques.
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La soprano espagnole Ruth Iniesta offre au rôle-titre une voix épanouie, à la fois libre et aérienne. Son interprétation séduit par la souplesse et l’agilité de sa tessiture, les médiums sonores et les aigus brillants, soutenus par un vibrato large et apaisant (malgré quelques aigus légèrement stridents). Elle passe avec aisance de la sensualité de la courtisane à la pureté de la convertie, convaincue tant vocalement que scéniquement. Elle nuance son chant avec une maîtrise assurée, allant jusqu'à chanter allongée sur le dos sans perdre en qualité vocale.
Le baryton Jérôme Boutillier campe un Athanaël tourmenté, incarnant avec passion ce moine cénobite qui cherche à convertir Thaïs. Son interprétation est marquée par une émotion palpable, allant jusqu'à l'autoflagellation sur scène. Sa voix puissante et charnue, soutenue par un très long souffle et un timbre généreux, bénéficie d’une projection saisissante et d’une bonne ouverture, même lorsqu'il chante sur le ventre. Ses aigus, vigoureux et lumineux, ajoutent en intensité et en l’ardeur à son interprétation très investie.
Nicias, l'ami épicurien d'Athanaël, est interprété par le ténor Léo Vermot-Desroches. Patron de cabaret dans cette version, il apporte une touche d'espièglerie parfaitement dosée à son personnage. Il déploie pour ce rôle tout le potentiel de sa voix chaude, à la fois lumineuse et légèrement métallique, s'épanouissant dans les aigus avec puissance et une projection distincte qui le démarque lors des ensembles.
La mezzo-soprano Marie Gautrot incarne Albine, l’abbesse accueillant Thaïs mourante. Solennelle et imposante, elle apporte à son personnage une voix chaude et soyeuse, joliment vibrée, avec des aigus larges et bien soutenus.
En Palémon, le cénobite âgé, Guilhem Worms se distingue par une voix caverneuse, naturellement puissante et pénétrante, qui profite d’une bonne ouverture et d’une bonne canalisation.
Les courtes interventions de Crobyle et Myrtale, interprétées par la soprano précise Marion Grange et la mezzo sonore au timbre velouté Éléonore Gagey, apportent une touche de narquoiserie, loin de passer inaperçues, avec des voix qui vont bien ensemble et de jolis aigus bien exécutés.
La Charmeuse, enfermée dans une cage géante avec une balançoire, incarnée par Louise Pingeot, brille par ses aigus précis et éclatants. Le baryton-basse Nicolas Josserand, en serviteur, a un rôle bref mais marqué par une voix peu vibrée et des débuts de phrase un peu instables.
Le danseur italien Carlo d’Abramo accompagne Thaïs tout au long de l’opéra, incarnant un personnage ambigu et provocateur, entre les genres, dans une chorégraphie contrastée, signée Carmine de Amicis. Ses mouvements fluides oscillent avec des évocations religieuses fréquentes, notamment de la crucifixion.
Le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, dirigé par Laurent Touche, se montre particulièrement polyvalent, passant avec aisance de la gravité des moines à l'exubérance des cabaretiers. Ils produisent ainsi un son nuancé et homogène.
Sous la direction précise de Victorien Vanoosten, l'Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire fait preuve d'expressivité et d'un soutien attentif aux chanteurs. Malgré le cri intempestif d’un spectateur « trop fort, l’orchestre ! », la phalange s’avère nuancée et équilibrée tout au long de la soirée, notamment dans la fameuse Méditation de Thaïs d'une délicatesse remarquée.
Après cette performance mémorable, quelques huées sont vite étouffées par l'enthousiasme de la salle : le public salue chaleureusement les artistes avec des applaudissements nourris, les rappelant à deux reprises pour des ovations prolongées.