La grandiose Bohème de Zeffirelli au MET
Le Metropolitan Opera cherche à se réinventer avec de nouvelles productions et créations (voir nos articles et comptes-rendus) mais sans négliger les productions célébrissimes qui ont fait le succès du lieu. La Bohème version Zeffirelli, présentée un demi-millier de fois depuis sa première en 1981, fait partie de ces icônes du genre, tant au Met que dans l’histoire de l’opéra.
Zeffirelli s’est pris au jeu des quatre « tableaux » proposés par Puccini, littéralement : le spectateur passe des rues de Paris à la mansarde des poètes, entre cheminée qui fume et pétales de fleurs romantiquement détachés, dans le souci du détail et de l'artisanat mais aussi du grand show.
Dans cette production grandiose, les chanteurs doivent eux-aussi se dépasser, d'autant que dans la tradition du metteur en scène hollywoodien, il s'agit d’incarner comme un acteur des personnages d’une certaine profondeur psychologique, tout en déployant son chant lyrique. Les quatre amis-artistes sont particulièrement convaincus dans ce jeu d’acteurs-chanteurs.
Marcello, le peintre, est interprété par le baryton Boris Pinkhasovich, qui allie aigus et intensité dans le timbre à des résonnances profondes, donnant un certain cachet à son personnage vocal.
Colline, le philosophe, confié à Bogdan Talos se distingue par une profondeur caverneuse, tout en chaleur et en rondeur pourtant.
Le baryton Gihoon Kim, qui interprète le musicien Schaunard, manque parfois un peu de puissance hormis dans le son très poitriné et vibrant. Son timbre prend même alors une qualité soyeuse. Surtout, l'artiste bondit et tourbillonne, se faisant non seulement le musicien mais le danseur du groupe.
Le protagoniste-poète Rodolfo semble d'autant plus en retrait avec Dmytro Popov, tirant vers la voix de tête, manquant de puissance et le menant à freiner le tempo, même en gardant une certaine chaleur de timbre.
Le comique du propriétaire Benoît est rendu presque en caricature par Donald Maxwell, qui accentue une voix chevrotante de vieillard avec des sauts de notes (en Alcindoro, sa voix ne passe pas la cohue parisienne et la rampe).
Tyler Simpson et Yohan Yi jouent surtout de leur présence physique en douaniers. Leurs brèves interventions narratives émergent toutefois. À l’inverse (logiquement), Parpignol interprété par Marco Jordão, se fait remarquer d'une voix de fausset donnant le ton de sa scène carnavalesque (et que serait une mise en scène de Zeffirelli sans grande scène colorée, avec même des chevaux ou des ours sur scène ?).
Ailyn Pérez manque d'abord un peu de volume et d'intonation notamment dans les aigus, mais suivant en somme un parcours inverse de celui de la santé de Mimi, elle déploie progressivement sa dynamique chaleureuse et résonnante, sans tomber dans le tragique mais en continuant dans l’amplitude.
Emily Pogorelc est très à l'aise en Musetta, jouant sur ses accents, accentuant le vibrato. Elle apporte ainsi la légèreté lyrique et le charme vaudevillesque de l’opéra.
Les chœurs montrent de l'énergie et même une certaine puissance, mais manquent de diction. Du chœur d’enfants émerge notamment une voix claire.
Le chef Kensho Watanabe dirige ce riche ensemble avec beaucoup de délicatesse. Il distille les voix de l’orchestre avec attention et patience, explorant chacune des sonorités de la partition de Puccini tout en travaillant sur les aspects plus narratifs ou dramatiques. Les vents se remarquent par leur qualité de son, comme les solos des cordes.
Le public, qui ne sait plus où donner de la tête et reste bouche bée devant les talents d'interprètes multifacettes, vibre jusqu'aux derniers instants tragiques, très théâtraux, en répliques parlando... Il repart alors larme à l'œil et sourire aux lèvres, rêvant à Paris en parcourant une Bohème new yorkaise.