Roberto Alagna et Ludovic Tézier, astres lyriques à la Philharmonie
Complices depuis plusieurs décennies, Roberto Alagna et Ludovic Tézier semblent toujours éprouver la même jubilation à partager la scène. Ils offrent ainsi un récital mettant en lumière de grands compositeurs lyriques du XIXe siècle et l'étendue de leur expressivité. Du bel canto de Donizetti ou de Verdi aux innovations dramatiques de Wagner et du vérisme (réalisme italien) d'Umberto Giordano, en passant par les harmonies sensuelles et évocatrices de la musique française avec Bizet, le programme est un voyage culturel et stylistique, poursuivi par une escapade slave (avec un extrait d'Halka du polonais Stanisław Moniuszko). Ce périple des plus séduisants va des arias intimistes aux grandes fresques spectaculaires, ponctué de moments orchestraux puissants.
Avec le charme de son aisance scénique emblématique, Roberto Alagna n'hésite jamais à créer une connivence avec son public (déjà conquis, dès son entrée), aimant à s'amuser avec lui (même si ses traits d'esprit ne profitent parfois qu'aux premiers rangs). D'emblée, il fait résonner son timbre héroïque, d'une vaillance constante. Ses aigus sont toujours dorés d'une lumière éclatante. Semblant parfois surpris par la tonalité de l'accompagnement orchestral (qui ne choisit pas de jouer plus grave pour lui laisser davantage de confort pour l'aigu), il en fait un atout, renforçant la brillance de sa voix par son investissement expressif. L'auditoire retiendra notamment la complainte intense « Szumią jodły » (les sapins bruissent) de Moniuszko, alliant tendresse d'interprétation et vaillance de timbre.
Ludovic Tézier est assurément son partenaire en présence et en aisance, quoique plus posé. La richesse de son timbre lui permet de se faire aussi sombre que brillant, et tendre. Son « Nemico della patria » extrait d'Andrea Chénier de Giordano arrache au public une acclamation méritée, tant le baryton parvient à incarner son personnage avec héroïsme. La tendresse de ses inflexions captive et marque également chez Wagner (avec Tannhäuser).
Les moments en duo sont particulièrement touchants, empreints d'une complicité amicale plutôt que d'une rivalité, tel ce fameux serment d'amitié « È lui! desso, l'Infante!... Dio, che nell'alma infondere » du Don Carlo de Verdi.
Les deux chanteurs-vedettes sont pleinement soutenus par l'Orchestre National de Belgique sous la baguette de Giorgio Croci, compagnon de route ayant d'ailleurs dirigé le gala célébrant les trente ans de carrière de Roberto Alagna aux Chorégies d'Orange en 2016. Si certains passages instrumentaux pourraient déployer davantage leur sens narratif et si les cordes sont couvertes par les pupitres de cuivres dans leurs moments de puissance, les passages pianissimo en paraissent d'autant plus agréables et délicats. Des élans d'énergie maîtrisée et homogène s'envolent vers des passages aériens, subtilement équilibrés.
Cédant avec enthousiasme aux ovations du public, Roberto Alagna et Ludovic Tézier se montrent plus que généreux, s'approchant d'une demi-douzaine de rappels.
Après un très apprécié duo extrait d'Otello, ils interprètent notamment Parla più piano de Nino Rota, Roberto Alagna s'y faisant très charmeur et amusant le public en imitant brièvement le Parrain. Ludovic Tézier marque également les esprits par son interprétation intemporelle des Feuilles mortes de Joseph Kosma sur un poème de Jacques Prévert. Le public applaudit très chaleureusement les deux artistes et l’orchestre pour ce récital où deux des plus grandes voix actuelles unissent leurs talents pour offrir un moment d'émotion et de partage.