Etat civil
Biographie
La soprano colorature australienne Joan Sutherland est née le 7 novembre 1926 à Sydney. Sa mère, Muriel Alston, a suivi des études de chant et possède une belle voix de mezzo-soprano. Très vite, celle-ci s’aperçoit que la petite Joan l’accompagne avec brio lorsqu'elle fait ses vocalises, et prend alors à cœur la vocation musicale de sa fille. A l’âge de six ans, Joan perd son père, et la famille déménage chez son oncle dans une autre banlieue de Sydney, Woollahra. Joan Sutherland conserve sa mère comme unique professeur de chant jusqu’à ses dix-huit ans. Celle-ci demeure persuadée que sa fille possède comme elle une tessiture de mezzo, et qu’elle ne doit pas se risquer dans les aigus, au risque d’abîmer sa voix. En 1944, à quinze ans, Joan Sutherland commence à prendre des cours de chant avec John et Aida Dickens. Ceux-ci se rendent compte qu’elle a en réalité une tessiture de soprano. Cependant, ils pensent que Joan a tout d’une soprano dramatique, ce qui est compréhensible, au vu de la puissance extraordinaire de sa voix. C’est donc dans l’intention de chanter Brünnhilde dans le Ring que Joan Sutherland va poursuivre son apprentissage, son modèle d’alors étant la grande wagnérienne Kirsten Flagstad.
Elle fait ses débuts en concert au Town Hall de Sydney en 1946, où elle est soliste dans l’Oratorio de Noël de Bach. En 1947, elle chante un récital d’airs de Wagner, puis débute son premier rôle lyrique intégral dans une version de concert de Didon et Enée de Purcell. Elle commence à participer à des compétitions, jusqu’à ce qu’elle remporte les deux prix les plus prestigieux de son pays, le Sun Aria en 1949 et le Mobil Quest l’année suivante. En 1951, elle fait ses débuts sur scène au conservatoire du New South Wales, dans Judith d’Eugene Goossens, un opéra contemporain. C’est en 1951 qu’elle part étudier au Royal College of Music de Londres. Elle y retrouve un ancien ami d’Australie, Richard Bonynge, alors pianiste accompagnateur, mais sur le point de devenir chef d’orchestre. Celui devient son fiancé et son mentor. Au fur et à mesure de leur vie commune, en l’entendant fredonner à elle-même, il s’aperçoit qu’elle atteint les notes les plus aigues avec aise. C’est donc lui qui se rend compte en premier que Joan Sutherland est une soprano colorature. Elle met pourtant fort longtemps à se laisser convaincre, craignant d’abîmer sa voix. Il tire parti du fait que Joan n’a pas l’oreille absolue pour la faire monter dans les aigus pendant ses vocalises. Pendant ce temps, elle commence à faire ses débuts à Covent Garden. Dès 1951, elle y décroche une position de soprano « utilitaire », son premier rôle étant la première dame dans La flûte enchantée de Mozart.
L’un des petits rôles qu'elle y obtient est celui de Clothilde dans Norma de Bellini en 1952, avec Maria Callas dans le rôle-titre. La rencontre va profondément marquer Joan. En effet, si Joan Sutherland est aussi réticente à se remettre à l’envie de Bonynge quant à ses capacités vocales, c’est en partie parce qu’elle demeure assez sceptique quant au répertoire qu’une tessiture de colorature lui ouvrirait. En effet, le bel canto est alors peu joué sur les grandes scènes internationales. Or Maria Callas est le chef de file de la renaissance de ce répertoire. A la fin de la représentation, elle demande à la Callas, si elle pense qu'elle pourra un jour chanter le rôle de Norma. Celle-ci lui aurait répondu « Avec beaucoup de travail, pourquoi pas ? » La même année, elle obtient son premier rôle conséquent à Covent Garden, Amelia dans Un bal masqué de Verdi. A partir de là, elle multiplie ses apparitions sur cette scène, notamment dans le rôle-titre d’Aïda de Verdi et dans un Ring de Wagner (Woglinde) en 1954, année où elle épouse Richard Bonynge. Entre 1954 et 1955, elle chante chaque rôle féminin des Contes d’Hoffman d’Offenbach. Elle interprète aussi Jennifer lors de la création mondiale de A Midsummer’s Wedding de Michael Tippett à Covent Garden en 1955. En 1957, elle chante Emilia di Liverpool de Donizetti pour une retransmission de la BBC. C’est l’une de ses premières incursions dans le répertoire du bel canto depuis la Norma avec Callas.
Sutherland devient une vedette reconnue à l’international grâce à son interprétation du rôle-titre de Lucia di Lammermoor de Donizetti à la Scala, dans une mise en scène de Franco Zefirelli, sous la direction de Tullio Serafin, le mentor de la Callas. Sa voix impressionne le public, surtout dans sa scène de la folie, car elle possède une puissance inouïe dans le registre de colorature. Elle s’impose alors comme l’une des plus grandes voix de sa génération. En 1960, elle obtient le surnom de la Stupenda après son début à la Fenice dans Alcina de Haendel, puis fait ses débuts américains dans ce même rôle à l’Opéra de Dallas. La même année, elle débute à l’Opéra de Paris dans Lucia di Lammermoor. Elle chante également Elvira dans Les Puritains de Bellini au Festival de Glyndebourne. En 1961, elle fait ses débuts à New York au Town Hall dans Beatrice di Tenda de Bellini, et enchaîne peu après avec le Metropolitan dans Lucia di Lammermoor, la première d’une longue série d’apparitions sur cette scène. En plus du bel canto, elle témoigne d’un vif intérêt pour le répertoire français du XIXe, comme par exemple Les Huguenots de Meyerbeer, qu’elle chante pour la première fois à la Scala en 1962. En 1963, plus de dix ans après avoir partagé la scène avec Callas dans ce rôle, elle chante Norma à l’Opéra de Vancouver sous la direction de Bonynge. Elle avoue avoir mis du temps à se trouver assez aboutie dans le rôle pour s’affranchir de l’ombre de la diva grecque. L’effort paye, puisque son interprétation devient également une référence pour ce rôle.
De 1965 à 1966, Bonynge et elle partent en tournée dans leur pays natal avec leur propre compagnie, la Sutherland-Williamson Opera Company. Un jeune ténor alors quasi-inconnu, dénommé Luciano Pavarotti, les accompagne. Plus tard, Pavarotti déclarera que cette tournée fut extrêmement formatrice. L’Italien et l’Australienne se partagent par la suite la scène à de nombreuses reprises, pendant le restant de la carrière de Sutherland. A partir de ce moment, elle ne chante quasiment plus que sous la direction de Bonynge. C’est d’ailleurs sous l’impulsion de celui-ci, qui témoigne d’une grande curiosité pour les œuvres les plus méconnues du bel canto et de l’opéra romantique français, que Joan Sutherland choisit la plupart de ses rôles. L’un des traits caractéristiques de Joan Sutherland est son tempérament terre à terre et chaleureux, très éloigné du cliché de la diva ou d’ailleurs des héroïnes pour lesquelles elle est célèbre. C’est sans doute sa nature joyeuse qui fait que l’un de ses opéras préférés est La fille du régiment de Donizetti, dans lequel elle chante pour la première fois Marie à Covent Garden en 1967.
Sa carrière ne faiblit pas durant la décennie 70. Sa voix demeure à peu près intacte, conservant toute sa limpidité, son agilité et sa puissance dans les aigus. Elle parvient même à surpasser ce qui restait l’une de ses faiblesses en améliorant sa diction. En 1970, son interprétation au Metropolitan de Norma, avec le début sur cette scène de Marilyn Horne en Adalgisa, fait date. Elle et Bonynge continuent de redécouvrir des œuvres comme Maria Stuarda de Donizetti (pour ses débuts à l’Opéra de San Francisco en 1971), Lucrezia Borgia de Donizetti (Opéra de Vancouver en 1972) et Esclarmonde de Massenet (Opéra de San Francisco en 1974). Ce rôle est rarement joué, car peu de sopranos osent se confronter aux difficultés techniques qu’il implique. Joan Sutherland, alors aux portes de la cinquantaine, s’en tire avec brio, et elle considère ce rôle comme la plus grande réussite de sa carrière. Elle chante un autre opéra rare de Massenet, Le Roi de Lahore, à l’Opéra de Vancouver en 1977. Elle continue d'apprendre des rôles jusqu’à quasiment soixante ans, quand elle chante Anna Bolena de Donizetti à Toronto en 1984 et Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas à Vancouver en 1985.
En 1987, elle donne son dernier opéra au Met, en chantant Leonora dans Le Trouvère de Verdi, face à Luciano Pavarotti en Manrico. Sa dernière apparition à Covent Garden en 1990 a lieu dans La Chauve-souris de Johann Strauss, une autre opérette qu’elle affectionne particulièrement, avec ses amis de toujours, Luciano Pavarotti et Marilyn Horne. Elle fait ses adieux à la scène à Sydney en Marguerite de Valois dans Les Huguenots en 1990, mettant fin à une carrière de quarante ans, où elle aura réussi l’exploit de maintenir un niveau extraordinaire jusqu’au bout. Elle meurt d’un arrêt cardiaque le 11 octobre 2010 dans sa maison à Les Avants en Suisse.