Roberto Alagna, la force intérieure - récital à la Salle Gaveau
Élégant et souriant, Roberto Alagna fait son entrée sur la scène Gaveau avec une énergie conquérante. Il faut dire que le ténor, qui soufflait en juin ses 60 bougies, a toujours de belles qualités à faire valoir : une émission franche et tranchante qui se traduit par une prononciation toujours limpide, une projection qui décoiffe dès le haut medium jusqu’à des aigus vigoureux mais sûrs. Le temps apparaît néanmoins çà et là : dans ce léger voile qui couvre par moments les notes les plus graves, dans des attaques parfois un peu dures (par exemple celles de “Niun mi tema” qui conclut le récital) : la souplesse et la rondeur d’autrefois ont laissé place à un métal brillant, taillé à la mesure du Met ou de Bastille. Bref, un chant athlétique, totalement engagé dans le corps, où l’expressivité passe plutôt par le soin du texte et l’énergie vocale.
La personnalité se retrouve également : franche elle aussi, généreuse, aimant toujours le défi vocal comme un sportif, à l’image du programme de la soirée (donnée finalement sans entracte) où, après une première partie consacrée à ce que le répertoire français a de plus “large”, le ténor enchaîne avec des airs italiens redoutables.
Ce n’est pas une nouveauté, il y a cette adéquation entre le chant d’Alagna et l’opéra français. En témoigne l’air de Sigurd de Reyer qui ouvre la soirée : le public ne perd pas un mot, et l’instrument trouve au fur et à mesure ses marques dans cet art de la déclamation, à la fois lyrique et scandé par le rythme de la langue, jamais embarrassé par l’articulation ou les voyelles nasales. Mêmes qualités que l’on retrouve chez Meyerbeer et dans l’air du Dernier jour d’un condamné de David Alagna, redoutable monologue où tension vocale et dramatique vont de pair. De cette première partie, se retient surtout cette prière du Cid de Massenet : les yeux fermés, concentré sur le texte et le chant, la tête levée pour affronter les aigus de la partition, le ténor trouve une intériorité et un phrasé qui touchent manifestement le public.
C’est ce même art que le ténor transpose dans le répertoire italien : s’il ose des nuances bienvenues dans l’air de Simon Boccanegra ou celui d’Otello, c’est sa capacité à soutenir la tension de phrases redoutables dans le haut medium comme dans Pagliacci ou Fedora qui impressionne. Les aigus sont tous là, puissants et brillants, parfois un peu rauques ils perdent un peu de leur soleil. Pourtant, le ténor semble posséder une capacité à effacer à chaque nouvel air les petites tensions et signes de fatigue qui pouvaient se déceler à la fin du précédent.
Côté orchestre, si la direction souple de Jean-Yves Ossonce est attentive au chanteur et aux atmosphères, elle n’évite pas toujours de petites fragilités comme dans le prélude d’Attila ou cette descente des cordes qui ouvre l’air d’Otello : il faut dire que l’acoustique sèche de la salle est sans pitié pour les différents pupitres de l’Orchestre Colonne, l’ensemble ne trouvant véritablement sa cohérence sonore que dans les tutti et les forte. À ce compte, le public retient davantage l’Intermezzo très lyrique de Cavalleria Rusticana que l’Ouverture de Mireille par exemple, où la danse peine à trouver son élan.
Très applaudi, le ténor partage sa joie communicative d’être sur scène en invitant Nabil “ténor de la street” comme il se présente, à la voix sombre et au charisme naturel, pour chanter ensemble “O sole mio”, “Funiculì funiculà” et “Abballati”, soutenus par un public visiblement toujours sensible à ce plaisir du chant et cette force intérieure qui font le charme (et la longévité sans doute) du ténor.