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À propos de ce lieu
La ville de Venise possède une riche tradition lyrique, puisque c’est là que s’ouvre la toute première salle de spectacles dédiée à l’opéra, le Teatro Tron de 1637. Au milieu du XVIIIe siècle, la Sérénissime compte sept opéras, dont le plus fastueux est le Teatro San Benedetto. En 1774, celui-ci est totalement rasé par un incendie, et doit être reconstruit. Qui plus est, en 1787, la société qui possédait jusque là le Teatro San Benedetto est contrainte de céder la salle à la famille Venier, ce qui dépossède la compagnie. Il s’agit donc de trouver un nouveau lieu de représentation. Un concours est lancé en 1789 pour construire une salle plus somptueuse encore que le Teatro San Benedetto. C’est les plans de l’architecte Giannantonio Selva qui sont retenu. L’extérieur est très caractéristique du style vénitien, tandis que l’intérieur suit l’organisation typique du théâtre à l’italienne, avec ses loges cloisonnées. Les travaux ont lieu de 1790 à 1792, et l’inauguration a lieu le 16 mai 1792, avec la première des Jeux d’Agrigente de Giovanni Paisiello. La salle est nommée la Fenice, en référence au fait que malgré la double catastrophe de l’incendie et du déménagement forcé, la compagnie n’en sort que renforcée, telle le phénix qui renait de ses cendres.
Très vite, la Fenice s’impose comme le centre lyrique de Venise. La salle s’embellit encore davantage en honneur à Napoléon, qui visite la ville en 1807. La loge impériale est achevée l’année suivante. La Fenice accueille les premières d’opéras de Rossini tel que Tancrède (1813), Sigismond (1814) et Sémiramide (1823), ainsi que du Croisé en Egypte de Meyerbeer en 1824. Peu après, l’état de la salle s’étant progressivement délabré, la Fenice est fermée de 1825 à 1828 pour rénovation. Ensuite, la Fenice voit les créations de celui qui est alors le compositeur le plus célébré de son époque, Vincenzo Bellini : Les Capulet et les Montaigu en 1830, puis Beatrice di Tende en 1833. Donizetti, devenu à son tour l’auteur le plus en vue après la mort de Bellini en 1835, ne manque pas non plus de passer par la Fenice. Son opéra Belisario remporte un triomphe en 1836. Hélas, cette année-là, le théâtre brûle de nouveau, quoique l’incendie épargne l’atrium. Fidèle à son nom, la salle est reconstruite rapidement, et dans l’intervalle, la compagnie de la Fenice utilise le Teatro Apollo en 1837 pour la création d’une autre œuvre de Donizetti, Pia de’ Tolomei. La Fenice rouvre ses portes dès 1837, avec la première de Rosemonde à Ravenne de Giuseppe Lillo. L’année suivante, Donizetti y présente une nouvelle création, Maria de Rudenz. Peu après, c’est Verdi qui y livre nombre d’œuvres importantes, en commençant Hernani (1844) et Attila (1846). Des vicissitudes entourent le destin de la loge impériale : celle-ci est supprimée avec la révolte de 1848, puis réinstallée par l’occupant autrichien. Cette querelle symbolique témoigne à quel point la Fenice n’est pas uniquement une salle de spectacles, mais une véritable arène politique pour l’Italie en pleine émancipation. Verdi y livre ensuite deux de ses plus grands opéras : Rigoletto (1851) et La Traviata (1853). La salle est de nouveau restaurée en 1854. Peu après, il s’y donne la première version de Simon Boccanegra (1857). Pendant l’ère vériste, il continue d’y avoir des créations, comme La Bohème en 1897… mais il ne s’agit pas de l’œuvre de Puccini, mais de celle de Leoncavallo. Citons également La Cenerentola de Wolf-Ferrari (1900), Les Masques de Mascagni (1901) et La vita nuova (1905) et Gli Amanti Sposi (1925) de Wolf-Ferrari.
La Fenice redevient un lieu de création majeur à partir du moment où elle lance des collaborations avec la Biennale de Venise. Cela commence dès 1930, et prend davantage d’ampleur après la fin du régime fasciste et de la Seconde Guerre Mondiale. La Fenice est également marquée par la figure de la Callas, dont l’interprétation d’Elvira dans Les Puritains de Bellini en 1949 est l’un des tout premiers jalons du renouveau du bel canto, deux ans après les débuts de sa rivale la Tebaldi dans Tosca. Parmi les grandes créations des années 50 figurent The Rake’s Progress de Stravinski en 1951, Le Tour d’Ecrou de Britten en 1954. A cette époque, la salle est immortalisée dans le chef d’œuvre Senso (1954) de Luchino Visconti, film historique situé lors de l’occupation autrichienne qui s’ouvre par une représentation du Trouvère qui dégénère en rixe entre soldats autrichiens et révolutionnaires vénitiens.
En 1960, Joan Sutherland livre une performance d’Alcina de Haendel si exceptionnelle qu’elle gagne le surnom de « la Stupenda ». La même année, la Fenice accueille pour une fois la première d’un compositeur vénitien, Intolérance de Luigi Nono. Pendant les années 60, la Fenice accueille également Renatta Scotto dans La Somnambule de Bellini (1961) ou Carlo Bergonzi dans Aïda (1961). La salle continue à accueillir des créations, comme Prométhée de Nono en 1984, ainsi que des redécouvertes, comme La finta pazza de Francesco Sacrati (1987), œuvre oubliée du baroque vénitien.
Les années 1990 sont une période sombre pour la Fenice. En effet, en 1996, la salle connaît le deuxième incendie de son histoire. L’incendie est criminel. Il semblerait que les coupables, deux électriciens, aient seulement souhaité provoquer un incendie partiel afin d’excuser le retard de leurs travaux, puis qu’ils aient perdu le contrôle. Très vite, le consensus autour de la salle est de la reconstruire « com’era, dov’ere », soit comme elle était, sur le même emplacement. Il faut attendre le 14 décembre 2003 pour que la nouvelle salle soit inaugurée. Dans l’intervalle, on utilise une salle provisoire sur le Tronchetto, puis le Théâtre Malibran, inauguré en 2001, qui reste désormais la seconde salle de la Fenice, utilisée notamment pour les créations et le répertoire baroque. La semaine inaugurale de la nouvelle Fenice est animée par des personnalités telles que Riccardo Muti, Myung-Whun Chung, ainsi qu’Elton John. La première représentation d’opéra a lieu l’année suivante, en 2004 : une Traviata (Verdi) avec Patrizia Ciofi dans le rôle-titre, Lorin Maazel à la baguette et Robert Carsen à la mise en scène.
La Fenice demeure l’une des trois plus grandes maisons de l’Italie, avec la Scala de Milan et le Théâtre de l'Opéra de Rome. Elle programme une quinzaine de productions, surtout dans le grand répertoire qui a fait ses heures de gloire. Elle continue d'accueillir des créations, comme Il killer de parole de Claudio Ambrosini en 2010.