Académie du Festival d’Aix-en-Provence : restitution lyrique de la Résidence Voix
La cour de l'Hôtel Maynier d'Oppède, situé à quelques pavés du Théâtre de l’Archevêché, offre son cadre patrimonial (1757) et abrité à la découverte d’une musique intime, sensible et exploratoire, au cœur et en contrepoint des grandes productions du Festival d’Aix. Les rendez-vous gratuits (sur réservation) de juin permettent ainsi de plonger progressivement le public vers le grand bain lyrique du mois de juillet.
Ce premier tour de chant de l'Académie est consacré à l’opéra et à son sentiment princeps : l’amour, tel qu’il se ressent, s’exprime et se déclare. Ce florilège d’airs d’opéra s’appuie sur le répertoire personnel de ces jeunes chanteuses et chanteurs venus de différents continents, allant de Haendel à Poulenc en passant par Mozart et Meyerbeer sans oublier Verdi et Puccini (passage en revue, par tessiture, de haut en bas).
La soprano Susanne Burgess, d’une voix ample, puissante, au vibrato structuré, lance ses vocalises par un mouvement de la mâchoire inférieure caractérisé, capable d’arpenter les différents registres de sa tessiture, avec de palpables changements d’ombrages et de luminosité. Le travail du texte italien témoigne d’un placement optimal de la voix qui s’épanouit dans le trille à l’aigu et se repose dans le coussin de ses graves. Elle traverse les émotions en reprenant son souffle sur des unissons aux accents poignants.
La soprano Lilit Davtyan délivre une voix légère et labile, toujours bien placée, au timbre velouté, traversé par une énergie bouillonnante ainsi qu’une diction explosive. La composition psychologique est portée par une verve émotionnelle, s’épanouissant en Cléopâtre dans la grande tragédie historique.
Madison Nonoa, également soprano, offre sa voix fine, labile ainsi que son art du spectacle qui intègre les chants d’oiseaux de l’atmosphère aixoise à son interprétation. En mozartienne, elle commute rapidement d’une émotion à l’autre, d’une situation à l’autre, jouant avec ses yeux, ses sourires et les couleurs de son timbre. Sa voix longue, étirée avec délicatesse, est capable d’émettre quelques graves duveteux et élégants, finement nasalisés ainsi que des aigus filés, jouant à cache-cache avec le silence. En français, même esprit de finesse, mêmes roucoulades jubilatoires, avec un timbre de voix qui marie la résonance du célesta aux frottements du clavecin.
La mezzo-soprano Marine Chagnon apporte son clair-obscur, son large vibrato, son imaginaire sonore de tragédienne aux consonnes fricatives bien senties, sa colonne d’air brandie comme une épée flamboyante. Elle crépite le long de gammes rapidement et justement délivrées.
Joanne Evans apporte un mezzo d’une autre rousseur, davantage résineuse. La voix est émouvante, délicate et comme moelleusement surliée, se nourrissant de chaque mot. Son visage est un théâtre miniature.
Le mezzo fastueux d’Elmina Hasan, puissant, stylé, dramatique, vient clore ce trio, avec des graves qui mobilisent tous les résonateurs, un vibrato solidement amarré à la ligne de chant. Elle se montre plus en retrait, chez Donizetti, massant sa ligne de chant d’un baume aux essences langoureuses.
Le ténor de la soirée, Jonghyun Park (Ryan Capozzo étant souffrant), suspend à ses lèvres sans avoir besoin de « ténoriser » outre-mesure. L’articulation est soignée, en italien comme en allemand, le soutien précieux permettant à son art de la conduite de la phrase et de ses crescendi au long court de faire merveille. Il creuse son sillon émotionnel notamment par le travail des consonnes les plus caressantes telles « f », « m », « v ».
Timothée Varon, unique baryton, démontre son aplomb d’acteur en Directeur dans Les Mamelles de Tirésias, avec quelques raideurs dans l’aigu, vite patinées par le métier, la projection vocale et l’art de la découpe de la phrase française (ou italienne pour l'Enrico de Lucia di Lammermoor).
Maurel Endong ancre et encre le spectacle de sa voix de baryton-basse, généreusement pulpée. Il donne toute la matière de sa vocalité caverneuse, de sa labialité lui permettant d’articuler finement un texte français parfois difficile à propulser. Son sens de l’écoute intérieure, de l’imagination sonore est palpable, alors qu’il est très à son aise dans le répertoire bouffe italien.
Les trois pianistes, Gracie Francis, Honoka Kobayashi et Nicolò Pellizzari (originellement claveciniste) se partagent l’accompagnement attentif et impliqué de leurs collègues chanteuses et chanteurs.
Ce programme, qui fait se succéder des voix et des rôles à la vocalité et l’émotivité à fleur de peau, est longuement applaudi par un auditoire qui témoigne autant de ses coups de cœur que de son appréciation de l’ensemble de ce spectacle privilégié.