Académie du Festival d’Aix-en-Provence : restitution contemporaine de la Résidence Voix
Après le répertoire lyrique du premier concert (notre compte-rendu), place à la nuit chambriste. Ce récital, dédié à la création contemporaine, gravite autour de la pièce pour voix et piano Noor de la compositrice iranienne Golfam Khayam. Il est le fruit d’un travail de mentorat où la patte de Barbara Hannigan (artiste renommée de ce Festival et de la musique de notre temps) laisse son empreinte profonde qui se ressent, dans la manière qu’a chaque chanteur d’habiter son rôle, d’entrer en transe dans le silence musicien de la nuit. Tout est dans la retenue, dans la manière qu’a la musique, au tournant des années 1970, de s’interroger sur son existence, sa finitude et sa signification.
La soprano Lilit Davtyan met de côté ses vocalises flamboyantes de diva belcantiste pour entrer à pas discrets dans la nuit silencieuse. Elle place le moteur de l’émission vocale en arrière-gorge, comme dans cet arrière-monde qu’est la mort selon George Crumb : « La nuit silencieuse sous un ciel étoilé - Le rivage et la vague au murmure assourdi. », tandis que le piano préparé enrobe la partie chantée d’une harpe d’ondine. Sa voix se fait sinueuse, insinueuse, dans la chair vocale, se glisse comme à l’intérieur du son, la matière micro-polyphonique propre à l’écriture de Ligeti.
La soprano Susanne Burgess complète le cycle Apparition de Crumb, traversant la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède, telle une oiseleuse se posant sur la branche de sa voix pleine, de ses médiums empulpés et susurrés – voix préparée en écho au piano. Elle se montre habitée par son personnage inquiétant de « Mère mystérieuse - Approchant à pas feutrés » (traduction de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris).
La soprano Madison Nonoa lance sa voix comme un appel aux forces cosmiques de la nuit, la met en vibration, l’étire, la lisse et l’aiguise, telle une épée magique. Elle fait de ses aigus filés non une manière de chanter mais une manière de composer de la musique (composée par Claude Vivier), à l’échelle du mot, voire de la syllabe : « Dans le sein sacré de la Mer - Demeurait le Soleil - Vivant flambeau par qui tout s’allume » (Hymnes à la nuit de Novalis, traduction de Paul Morisse).
La mezzo Marine Chagnon, avec Alphonse Cemin au piano porte la création mondiale de Noor, Ode à la Lumière de l’espoir, qui toujours luit dans les Ténèbres, mélodie sur un poème de Forough Farrokhzâd, inspirée par la collaboration entre la compositrice iranienne Golfam Khayam et Barbara Hannigan. Marine Chagnon enroule et déroule sa longue et dense cantilène, chargée de notes pivots et récurrentes, à la manière de la musique monophonique et modale. La voix entre en écho avec les résonances ourlées de métal du piano, la chanteuse mobilisant sa longue voix pour y mêler ses graves et ses aigus, faire imploser ses glissandi, comme des étoiles noires. Son errance douloureuse et véhémente du zénith au nadir semble vouloir sauver la part lumineuse imputrescible de l’humanité.
Le mezzo lyrique et ardent d’Elmina Hasan quitte avec Jonathan Harvey la majesté du belcanto et se tapisse d’intériorité, pour exprimer à la fois l’insistance et la distance propre à la berceuse d’éternité.
La mezzo Joanne Evans dépose dans le piano d’Alphonse Cemin, les accents susurrés de sa voix, à la manière du Sprechgesang (parlé-chanté), propre à l’imaginaire nocturne de Crumb. Les larges sauts intervalliques sont de belle justesse et n’empêchent pas la ligne, grâce au soutien et au legato, de plier et déplier sa quintessence mélodique. Toujours dans la nuit, celle de Dutilleux (avec San Francisco Night, poème de Paul Gilson), la voix se balance en corolles, moire ses couleurs de lune rousse, comme en apesanteur.
Chez Dutilleux également, le baryton-basse Maurel Endong, à mille lieux de sa bouffe belcantiste, dirige le regard profond de sa voix vers l’infini. Le legato est de braise, le soutien d’airain, tandis que chaque mot semble labourer la terre pour y chercher des étoiles.
Le ténor Jonghyun Park accorde son art du sur-legato et de la diction à la pudeur et à l’intériorité mélancolique du répertoire nocturne, composé par Sarah Kirkland Snider en profond hommage aux victimes du 11 septembre 2001.
Les claviers ne sont pas en reste dans ce récital, dont celui du claveciniste Nicolò Pellizzari, celui augmenté d’imaginaire puissant d'Alphonse Cemin (qui remplace Gracie Francis, souffrante), celui expressif et précis d'Honoka Kobayashi.
Le public, comme entré en transe, par la succession de météorites, denses et brûlantes, chargées de leur infini originel, de chaque opus, applaudit avec ferveur l’ensemble du spectacle, présenté au micro, par Barbara Hannigan.