Concours de Genève 2024 en Chant : palmarès et compte-rendu
Depuis sa création en 1939, le Concours international de Musique de Genève a inscrit au cœur de ses missions prioritaires la révélation de nouveaux artistes. Le palmarès s’avère abondant et prestigieux, pour ne citer que le chant lyrique depuis les années 1950 avec la délicate Elly Ameling, Teresa Stich-Randall la grande mozartienne des premières années du Festival d’Aix-en-Provence, la suisse Maria Stader, Michel Sénéchal à la si longue carrière, Victoria de los Angeles, Teresa Berganza, José van Dam et plus près de nous, Antoinette Dennefeld ou Marina Viotti.
Les exigences en matière de participation et de sélection au Concours sont particulièrement fortes (et détaillées dans notre grand article de présentations), exigeant des candidats une motivation de chaque instant. Pour cette année 2024, 71 candidats représentant 22 pays différents se sont inscrits, avec une très grande représentation de voix féminines se rattachant à la tessiture de soprano. Seuls 32 furent ensuite retenus et 8 admis à se présenter aux demi-finales. À ce stade, trois jeunes artistes ont été choisis pour participer à la finale qui s’est déroulée au Grand-Théâtre de Genève avec Patricia Petibon en tant que présidente du jury officiel.
L’Orchestre de la Suisse Romande, placé étonnamment en fosse et non derrière les candidats (en disposition opéra mis en scène plutôt qu'en concert : exigeant de franchir la fosse plutôt que portant les voix), est dirigé pour cette finale par la cheffe russe d’origine Alevtina Ioffe, future directrice musicale de l’Opéra de Berne.
C’est la soprano léger/colorature suisse âgée de 28 ans, Chelsea Marilyn Zurflüh qui remporte le Premier Prix. Formée à Berne par Barbara Locher, elle fut ensuite membre de l’Opéra Studio de Zurich abordant des seconds rôles comme Barberine des Noces de Figaro ou Zaida du Turc en Italie. Le programme choisi permet à la jeune artiste de révéler d’authentiques qualités. La voix est ronde, bien projetée, et dispose d’un aigu épanoui et d’un suraigu de grande facture. L’air de Cléopâtre "Da tempeste il legno infranto" d'Haendel est interprété avec classe et aisance, avec de beaux sauts sur la tessiture et de sensibles nuances. Si l’air "Ach, ich fühl's" de La Flûte enchantée de Mozart reste à peaufiner dans ses variations de couleurs et ses piani pour faire pleinement ressortir toute la désespérance de Pamina, celui de Linda di Chamounix permet à Chelsea Marilyn Zurflüh de faire apprécier sa maîtrise technique, sa virtuosité et ses évidentes facilités. Par contre, son approche demeure peu italienne au sens actuel du terme et se rattache à une esthétique colorature un peu datée, surtout brillante et un peu extérieure au personnage. Il reste à l’artiste à déployer une personnalité vocale et dramatique plus affirmée, plus présente en son chant. Chelsea Marilyn Zurflüh a reçu par ailleurs la majorité des autres prix décernés (10 sur les 12 au total !), dont celui du public bien entendu et du Cercle du Grand Théâtre avec un engagement à la clé.
Le baryton coréen âgé de 30 ans Jungrae Noah Kim s’est vu remettre le Second Prix du Concours. Il a étudié à l’Université nationale des arts de Séoul et est lui aussi passé par l’Opéra Studio de Zurich. Il a chanté dans diverses productions locales telles que Madame Butterfly, Rigoletto et Le Barbier de Séville. Il est lauréat du concours de Marmande notamment et vainqueur du Concours Belvédère de Lettonie en 2024. Cet artiste défend pleinement un programme intelligemment construit et qui ne fait nulle part à la facilité. Ainsi l’air du Prince Yeletsky tiré de La Dame de Pique de Tchaïkovski révèle-t-il une voix de baryton à la fois mordante et intense de timbre mais aussi en projection, avec de belles profondeurs et un legato parfaitement maîtrisé. D’emblée le personnage incarné s’impose dans le plus juste esprit de l’ouvrage. Si l’autorité peut encore s’affirmer dans l’air du Comte Almaviva des Noces de Figaro de Mozart, l'auditoire ne peut que souscrire à la vérité de son approche qui s’exprime jusque dans les périlleuses vocalises finales. Un autre versant de son talent se dévoile dans l’air de Fritz de La Ville morte de Korngold. Musicien dans l’âme, Jungrae Noah Kim en livre une version à la fois intimiste et habitée, avec une voix qui s’allège lorsqu’il convient et s’inscrit dans la nuance. L'artiste est fin prêt pour aborder des rôles plus importants, comme Marcello de La Bohème de Puccini.
Malgré un fort refroidissement, la troisième candidate retenue au terme des épreuves, la mezzo-soprano polonaise Barbara Skora (25 ans) a tenu à participer à la soirée de finale, ce malgré les conseils avisés des membres du jury et des organisateurs. Il est simplement dommage que le public n’ait été avisé de ce fait qu’au terme de la prestation de Barbara Skora. Que ce soit dans l’air des Lettres de Charlotte issu du Werther de Massenet -bien imprudemment retenu en tout état de cause en ouverture de programme-, le "Parto, Parto" de Sesto de La Clémence de Titus de Mozart et la Cavatine du Barbier de Séville, il n’est pas permis manifestement de se faire une idée précise de la voix habituelle de l’artiste. De fait, le 3ème prix du Concours n’a pu être décerné cette année (Barbara Skora n'en reçoit pas moins une mention honorable, dotée de 3.000 Francs Suisses).
À noter également, le prix décerné au demi-finaliste Junho Hwang consistant en un demi-récital pour la Fondation Yvonne Sigg.
Du côté des compositeurs (l'autre catégorie choisie pour le Concours cette année), c'est le deuxième prix qui n'a pas été attribué mais en raison de l'attribution de deux Premiers Prix ex æquo à Léo Albisetti et Caio de Azevedo tandis que Sang-min Ryu reçoit le Troisième Prix.
Le cru 2025 du Concours de Genève verra concourir des altistes, la direction d’orchestre se répartissant pour sa part sur les années 2025 et 2026.