Les enfants de l’Isère chantent À travers Jean
Depuis le mois de janvier 2024, 1.600 enfants volontaires de l’Isère, âgés de 8 à 12 ans et issus de 34 établissements scolaires, travaillent avec 15 intervenants musicaux pour préparer les cinq grands concerts, désormais bien repérés, de l’opération À Travers Chants organisée par AIDA (Arts en Isère Dauphiné Alpes, institution qui organise également les festivals Messiaen et Berlioz). Ce soir, ce sont donc 291 apprentis chanteurs (dont la plupart n’avait aucune connaissance musicale avant de se lancer dans cette aventure) qui ont le droit à leur représentation, sous les applaudissements émus de leurs parents.
Après avoir travaillé par petits groupes au sein de leur établissement, le temps de mise en place est extrêmement court : une journée début juin, une répétition générale avant le concert, et c’est le grand saut. Mais les bambins sont bien préparés et progressent vite : ils arrivent à cette ultime mise en place en connaissant déjà bien les textes et les musiques, ainsi que les gestes qui leur sont demandés. Il ne s’agit alors plus que de regrouper les énergies et de synchroniser les différentes voix apprises séparément.
Cette année, l’œuvre interprétée est une adaptation du Roman de Jean, livre écrit par Frédéric Brun en hommage à son père, Jean Dréjac. Si ce nom est méconnu, les paroles qu’il a écrites pour Édith Piaf, Yves Montand, Michel Legrand et bien d’autres encore, ne le sont pas : Le Petit vin blanc, Sous le ciel de Paris ou Ma Petite rime, nombre de ses succès ont imprégné la culture populaire. Ce sont ses chansons qui sont interprétées par le jeune chœur, dans des arrangements de Romain Didier, présent dans la salle. Le compositeur vit la représentation avec plus de stress que les enfants eux-mêmes, chantant à mi-voix, dessinant de la main les inflexions musicales attendues et semblant même retenir son souffle pendant un solo de violon. Manifestement ravi du résultat, il paraît même extrêmement ému lorsqu’est interprété Dans le même instant, dans une pénombre tout juste illuminée des bougies agitées par les enfants.
Le spectacle est mis en espace par Gersende Michel, avec deux actions qui se déroulent en parallèle : alors que le comédien Bruno Rochette interprète des scènes de la vie de Jean Dréjac à jardin, la muse de ce dernier, jouée par Hélène Arnault, le raconte à quelques enfants dans un grenier reconstitué à cour. Des vidéos, imaginées par Benoît Lahoz et projetées sur la cage de scène, plantent le décor.
Pascal Adoumbou est en charge de la direction musicale. Le travail de répétition avec les 43 musiciens de la Fabrique Opéra de Grenoble est assez limité car tout est déjà bien rodé. Le chef, très pédagogue, maniant l’humour ou la fermeté alternativement, déploie en revanche beaucoup d’énergie pour synchroniser les voix des enfants : il danse, mime et chante (en voix de tête pour coller à la tessiture des jeunes artistes), attentif au rythme autant qu’à la qualité du son produit par son grand chœur. Il multiplie les exercices ludiques afin de favoriser l’attention de ses choristes qui doivent chanter en suivant une battue qui accélère, ralentit ou s’arrête à l’envie.
Durant tout le spectacle, les jeunes chanteurs se montrent très investis, chacun à sa manière : concentrés les yeux fixés sur le chef, ou plus détendus et dansants, transportés par leur chant. Tous brillent par la grâce de leur émouvante innocence, presque toujours juste, souvent bien en rythme (les surtitrages permettant de profiter des textes du parolier même quand de légers décalages les rendent inintelligibles). Le chef dirige l’ensemble autant qu’il est dirigé par l’enthousiasme de ses musiciens en herbe, qui l’obligent parfois à des trésors de réactivité pour recaler son orchestre face aux libertés collectives que lui imposent ses choristes. L’Homme à la moto est par exemple entonné de manière pétaradante, avec force et conviction, tandis que Le Chemin des forains l’est sur un fil, tel un funambule hésitant.
Dans les travées du chapiteau installé dans la cour du Château Louis XI de la Côte-Saint-André (où se déroule le Festival Berlioz) règne une ambiance de stade de foot : les parents, qui connaissent les chansons par cœur et poussent La Chansonnette, sont les premiers supporters de leurs enfants. Ils les appellent, lèvent les bras pour attirer leur regard, font des cœurs avec leurs doigts pour les encourager, donnent de la voix quand leur école est citée au début du spectacle, et ovationnent le défilé des choristes une fois la dernière note retombée. La fierté se lit dans leurs yeux pendant la soirée, et le spectateur attentif peut même voir des larmes couler sur les joues de certaines mamans manifestement très investies.