Le Festival Messiaen conjugue la musique au contemporain et au féminin
À l’ombre de l’imposant point culminant de la Meije, dont le sommet enneigé domine l’observateur du haut de ses 3.984 mètres, le Festival Messiaen fédère les amateurs de musique contemporaine, qui viennent de toute la France pour assister à des concerts dont les programmes offrent toujours l’occasion de belles découvertes. C’est le cas cette année encore, avec une semaine de représentations (à raison de deux par jour) où des pièces de Debussy, Dukas et Fauré, côtoient celles d’André Jolivet, Bruno Ducol (décédé en début d’année), sans oublier Philippe Schoeller, Orlando Bass ou encore Helmut Lachenmann. Nombre de pièces, signées de ces artistes d’aujourd’hui, sont d’ailleurs jouées en création mondiale pour ce Festival. Et, bien entendu, l’œuvre d’Olivier Messiaen s'impose en véritable pilier de la programmation de ce rendez-vous alpin.
Dans la richesse de ce répertoire du XXème siècle (et même du XXIe, donc), chaque soirée a une thématique particulière. C’est le cas, en ce début de festival, avec un programme, en l’église de la Grave, consacré à de grandes compositrices françaises. Le concert s'ouvre avec des pièces de Nadia Boulanger (1887-1979) dont la postérité a retenu tant les talents de compositrice que de pédagogue (elle eut pour élèves Michel Legrand et George Gershwin) et dont sont programmées cinq mélodies d’inspiration poétique. Il se poursuit avec Elsa Barraine (1910-1999) signataire d’une Boîte de Pandore qui doit rappeler quelques souvenirs aux pianistes en herbe, dont sont aussi annoncées cinq pièces lyriques, deux d’entre elles étant nourries par l’œuvre littéraire de l’Indien Rabindranath Tagore. Lequel a aussi inspiré le cycle Le temps de la solitude, composé par la troisième compositrice ici mise à l’honneur, Henriette Puig-Roget (1910-1992).
Le sens de la musique et du mot
Un riche et fort intéressant programme en somme, gravé au disque en début d’année (label Présence compositrices) par les deux artistes ici amenées, au pied des montagnes, à en dévoiler toute l’essence poétique au public curieux et tout ouïe rassemblé dans la charmante église. Un auditoire d’emblée captivé par des mélodies où le son est indissociable du texte, où il s’agit de chanter bien sûr, mais aussi de dire et de raconter. Des contes livrés en toute intimité par la voix de Clarisse Dalles imprégnée de chacun des mots, verbes, adjectifs, qu’il s’agit ici de déclamer sur des formules mélodiques empreintes d’un mystère fait de crescendi fulgurants, de tempi s’accélérant soudainement, et de phrasés aux teintes éplorées. Un univers sonore dont la jeune soprano restitue tout de l’essence, avec son regard puissamment jeté au loin et surtout une voix vibrée avec justesse, une ligne vocale tout en prestance d’émission et homogénéité sonore.
Qu’il s’agisse de magnifier des poèmes de Mauclair ou Verlaine (Boulanger), des vers de Sully Prudhomme (Barraine), ou des textes marqués par la douleur de l’éloignement d’un amant parti à la guerre (Le Temps de la solitude de Puig-Roget), la voix est constamment porteuse des justes émotions, avec expressivité, et cette manière d’appuyer toujours là où il faut, là un sforzando pour dire la colère ou la peur soudaine, là des emplois à mi-voix pour évoquer une peine d’amour inconsolable. Son souci de marquer les consonnes avec précision donne en outre tout leur relief aux syllabes dont certaines débouchent sur des aigus tonitruants, comme des déchirements au cœur d’un océan de tourments.
Clarisse Dalles est à ce point habitée par ces textes qu’elle en finit presque usée, appuyée sur le piano, trouvant justement en son accompagnatrice une complice, soucieuse elle aussi de mettre son jeu au service du texte avant toute chose. Passant avec une même aisance d’un tempo à un autre, de nuances pianissimo marquées à des fortissimo retentissants, Anne Le Bozec, grande avocate de ce répertoire, prend toute sa part dans le plein effet de magnétisme opéré par ce programme dont s’apprécie autant l’intensité d’une musique aux teintes harmoniques souvent ténébreuses, que des textes à la puissance dramatique certaine.
Un ultime bis, un Cantique de Nadia Boulanger aux sonorités soudain plus romantiques et évanescentes, achève de convaincre le public, qui applaudit chaleureusement les deux artistes.