Tosca, soirée lyrique et unique aux Chorégies d’Orange
Tosca draine les foules, ce soir, au Théâtre Antique d'Orange : les gradins sont bondés jusqu'au dernier rang. Il faut dire que l’hommage à Puccini, disparu il y a cent ans, est le seul opéra programmé cette année par les Chorégies, avec une distribution « trois étoiles » portée par Aleksandra Kurzak, Roberto Alagna et Sir Bryn Terfel. L'œuvre est donnée ce soir en version de concert, laissant presque toute la place à la musique, et si cela peut faire craindre a priori une impression de vide sur une scène aussi immense que celle-ci, ces craintes sont dissipées dès les premières notes, éclatantes, dramatiques, de l’Orchestre Philharmonique de Nice. Sur scène, les lumières de Vincent Cussey sont sobres et efficaces, et des œuvres projetées sur le mur – une par acte – figurent les changements de lieux, recréant des ambiances propres à chaque acte, dans lesquelles les solistes occupent et modèlent l’espace, jouant du lieu, usant de mimes efficaces, faisant presque oublier l’absence de décors, de costumes ou d’accessoires.
Clelia Cafiero dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice d’une main de mæstra. C’est avec un plaisir flagrant qu’elle déploie sa gestique ample et claire, tout en souplesse. L’orchestre, porté notamment par des cordes impeccables, résiste vaillamment aux assauts répétés du Mistral, qui fait plusieurs fois chuter les pupitres. De très légers écarts de justesse en fin d’acte 3 auraient peut-être pu être évités avec un accord à l’entracte, mais les violoncelles n’en déploient pas moins leur lyrisme. Les chœurs, notamment formés d'artistes de l'Opéra Grand Avignon, coordonnés par le chef monégasque Stefano Visconti, obtiennent de beaux effets d’ensemble, aussi bien dans le fortissimo des tutti de l’acte 1 que dans le pianissimo lorsqu’ils accompagnent, hors scène, l'héroïne.
La soprano Aleksandra Kurzak rend au rôle-titre tout son caractère tragique et torturé psychologiquement. La voix est puissante, bien projetée, et le timbre luisant, soutenu par un vibrato marqué sans être excessif. Le « Vissi d’Arte » est longuement applaudi tandis que le redoutable contre-ut de l’acte 2, légèrement détimbré, est parfaitement juste et audible. Le jeu de scène n’est pas en reste, sa grande complicité avec Roberto Alagna en Mario Cavaradossi, son compagnon sur scène comme dans la vie, participant pour une grande part à la crédibilité de la mise en espace proposée.
Dans le rôle de Mario Cavaradossi qu’il a si souvent interprété, Roberto Alagna est dans son élément sur cette scène qu’il connaît si bien. Éclatante dès ses premières notes (d’un intérêt musical pourtant tout relatif), la voix du ténor franco-italien conserve une fraicheur et une puissance impressionnante. Des attributs qui, associés à un timbre toujours très rond, homogène sur toute la tessiture, conviennent pleinement au personnage, cohérent dans sa droiture morale jusqu’à la mort. Après avoir tenu le spectateur suspendu à sa ligne mélodique tout au long du « E lucevan le stelle », il reçoit une ovation tout à fait méritée.
Complétant le trio principal, Sir Bryn Terfel campe un Baron Scarpia d’une cruauté et d’un cynisme absolus. Usant avec beaucoup de justesse de mimiques dédaigneuses et autres postures méprisantes, et ponctuant ses fins de phrases de nombreux rires sardoniques, le baryton-basse gallois parvient à rendre toute sa noirceur au personnage. Si la voix peut manquer de puissance dans le grave, parfois couverte par l’orchestre lorsqu’il ne chante pas directement vers le spectateur, elle s’ouvre dans l’aigu de la tessiture, révélant un timbre étonnamment doux, appuyé d’un vibrato ample mais bien maîtrisé.
Parmi les autres rôles de la distribution, Jean-Vincent Blot (Cesare Angelotti) se démarque par sa puissance. Sa voix au timbre relativement clair, surprenant pour une basse, retentit avec force dans le Théâtre Antique, pourtant difficile pour cette tessiture. Dommage qu’il disparaisse si rapidement, au milieu du premier acte.
Le baryton Marc Barrard, en Sacristain, a plus de difficultés à passer l’orchestre, mais s’acquitte de ses traits avec justesse. Le ténor Carlos Natale (Spoletta), aux aigus légèrement cuivrés, et le baryton Jean-Marie Delpas (Sciarrone et le geôlier), d’un timbre plus sombre, tombent sur le même écueil.
Enfin, Galia Bakalov fait une apparition courte mais remarquée en bergère, dont la robe blanche et rouge rappelle le meurtre qui vient d’être commis, de l’infâme Scarpia par la pieuse Tosca. Sa voix claire aux accents juvéniles convient bien au rôle, normalement dévolu à un enfant.
Les lumières s’éteignent brutalement au moment de la chute de Tosca sur un dernier accord. Les applaudissements fusent aussitôt, particulièrement nourris pour Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna.