Oratorio et Opéra aux Féminins aux Champs-Élysées
Ce concert au Théâtre des Champs-Élysées réunit ainsi deux opus en une soirée, deux figures de femmes prêtes à se sacrifier par amour. D'abord, le rarissime oratorio Jephte de Giacomo Carissimi (plus rare encore que Jephtha de Haendel), où Iphis, fille unique de Jephté, accepter d'obéir à la promesse faite à Dieu par son père : celle de sacrifier la vie de la première personne qu’il rencontrera à son retour victorieux (cette personne n'étant nulle autre que sa fille). La seconde partie de la soirée propose Didon et Énée de Purcell, la reine de Carthage acceptant son destin avec le départ de son amant, au prix de sa propre mort.
Carlotta Colombo interprète la fille de Jéphté, ainsi que la partie de "Seconde femme" dans l’opéra de Purcell. Son timbre se fait fin et clair avec des ornements légers et souriants, mais les graves sont moins présents et sûrs. Sa palette d'intentions expressives ne s'en déploie pas moins, de la tristesse à la colère.
La mezzo-soprano Joyce DiDonato est applaudie dès son entrée sur scène, moment où elle est déjà pleinement investie dans l'expressivité de son personnage. Ses phrasés se font immédiatement sensibles, conduits de graves veloutés vers des aigus vibrants. Son souffle long et parfaitement soutenu porte l'expressivité de nuances, depuis des piani transparents, jusque vers des intensités saisissantes : elle sait se montrer délicate, ou bien autoritaire (pour imposer à Enée de partir vers son destin, même s'il la mène au tombeau). Le célèbre "When I am laid", est, évidemment, un moment suspendu, notamment par la grande douceur de ses couleurs de timbre, avec des aigus dont les vibrations traduisent un expressif déchirement.
Fatma Saïd assure la partie de Belinda d'une voix aussi rayonnante et délicate que très agile et souple – presque trop parfois pour la parfaite compréhension de son texte. Beth Taylor se fait effrayante en Magicienne, se plaisant à jouer ce rôle avec une pointe d’exagération mais avec beaucoup d’effet, cédant à une folle jalousie. Elle ne manque pas d’impressionner par la noirceur de son timbre et la grande maîtrise de son chant au service de son interprétation vocale et scénique.
Andrew Staples incarne les principaux rôles masculins de la soirée, Jephté et Enée. Sa voix est claire, surtout dans le fin ornement de ses lignes, et se veut contrastée par ses propositions de nuances. Son soin du texte est présent, sa maîtrise du phrasé indéniable, toutefois, le timbre pourrait être un peu plus large et chaud.
Issus du chœur Il Pomo d'Oro, Alena Dantcheva et Anna Piroli se chargent des rôles des sorcières, avec fermeté et en jouant sur les timbres pour y apporter volontairement une touche nasale, tandis que le ténor Massimo Altieri assure le rôle de narrateur dans Jephté et d’un marin dans Didon et Énée, de sa voix claire et parfaitement distincte. Enfin, le contre-ténor Hugh Cutting offre à son rôle d'esprit la présence cuivrée de son timbre, et un texte tout aussi limpide.
L’ensemble des artistes du chœur sont justement et très chaleureusement applaudis lors des saluts, pour la précision des textes, des phrasés et des couleurs de chacune de leurs interventions (souvent figuratives, c'est-à-dire représentant en sons les événements décrits). Ces qualités se retrouvent dans le jeu de l’orchestre Il Pomo d'Oro qui, sur leurs instruments anciens, notamment les violes de gambe, assument un son légèrement âpre et granuleux, d'une saisissante expressivité. Les échos dans la grotte, avec une partie des chanteurs et des instrumentistes en coulisse, sont particulièrement marquants et les passages instrumentaux sont aussi rebondissants qu’élégants. C'est que la direction de Maxim Emelyanychev est littéralement sautillante depuis son clavecin, et ne manque pas d’énergie, ni d’une certaine élégance et de sourires complices avec ses musiciens.
L’image éclatante de Didon, seule, éclairée, comme transcendée par son sacrifice, préside à l'accueil particulièrement enthousiaste du public.