Synopsis
Didon et Énée
Didon, Reine de Carthage, est amoureuse d'Énée, un prince troyen, et ils décident de se marier. Mais une Sorcière manipule Énée pour qu'il quitte Didon afin d'aller bâtir Rome en Italie.
Met Live Tosca
Création de l'opéra
Didon et Énée (Dido and Æneas) est un opéra baroque anglais en un prologue et trois actes d'Henry Purcell (1659-1695). Pour le livret, Nahum Tate (1652-1715), le « poète lauréat » (c'est-à-dire poète officiel) du monarque William III, a adapté sa tragédie Brutus of Alba, or The Enchanted Lovers (1678), elle-même basée sur le quatrième chant de l'Énéide. Cette épopée de Virgile, un poète latin de la fin de la République romaine, narre le récit d'Énée après la chute de Troy. Le chant IV raconte l'idylle entre Didon et Énée, le départ de ce dernier et la mort de Didon.
La seule représentation connue de cet opéra du temps de Purcell a eu lieu dans le quartier de Chelsea à Londres à la fin de l'année 1689 à la Boarding School for Girls tenue par le maître de ballet à la cour Josias Priest. Pour cette représentation scolaire, les rôles féminins étaient tenus par des pensionnaires et les rôles masculins par des hommes travaillant à l'école, les ballets, écrits pour l'occasion par Purcell et chorégraphiés par Priest, étaient également dansés par des pensionnaires, et le compositeur dirigeait le tout depuis le clavecin. Mais devant la finesse de cette œuvre, il est difficile d'imaginer qu'elle fût écrite pour des amateurs. Il est plus probable qu'elle fût écrite entre 1685 et 1687 pour le roi Charles II. Plusieurs faits viennent appuyer cette théorie. D'abord, Charles II avait exprimé en 1680 son souhait de voir s'introduire à la cour le genre de l'opéra. L'opéra de John Blow Venus and Adonis composé en 1683 constitue la première proposition d'un compositeur anglais suite à cette demande. Cette théorie est également renforcée par le fait que depuis 1677, Purcell est devenu le compositeur des Violons du Roi, ensemble fondé par Charles II sur le modèle français des vingt-quatre Violons du Roi. C'est d'ailleurs dans ce cadre que Purcell a été chargé en 1689 de composer la musique pour le couronnement de William III et Mary II. Enfin, on sait que Blow et Purcell étaient de très proches collaborateurs (Blow avait été le maître de Purcell) et qu'ils avaient tendance à avoir les mêmes évolutions stylistiques à peu près au même moment. Or, il existe indéniablement une proximité stylistique entre le Vénus and Adonis de Blow et le Didon et Énée de Purcell, ce qui amène les chercheurs à privilégier l'hypothèse selon laquelle l'opéra de Purcell aurait été composé avant 1689. Concernant la création, il n'existe aucune trace d'une quelconque représentation de cet opéra à la cour. On ignore si l'opéra a été donné à la cour ou si ce ne fut pas le cas, la mort précoce de Charles II en 1685 pouvant alors expliquer ce fait.
La seule source datant du XVIIème siècle est celle du livret utilisé lors de la représentation scolaire à Chelsea. La partition de cet opéra a été reconstituée à partir des collectes et copies des parties vocales faites au milieu du XVIIIème siècle en Angleterre qui contenaient de nombreuses variantes en ce qui concerne le texte, mais aussi parfois la musique. Malgré cet effort de recomposition, de nombreuses musiques ont été perdues, à commencer par l'accompagnement orchestral. Ainsi, on ignore l'instrumentation qu'avait choisie Purcell. Mais de par sa fonction de compositeur des Violons du Roi, il est raisonnable de penser que cet opéra fût écrit pour quatuor à cordes et clavecin. Le prologue chanté qui introduisait l'opéra, ainsi que la ritournelle à la fin de l'acte 2 et plusieurs numéros dansés ont été également perdus. Pour remédier à ces manques musicaux, la ritournelle a été réécrite en imitation du style du compositeur et les numéros chantés manquants ont été remplacés par des danses écrites par Purcell pour d'autres occasions. Le prologue quant à lui n'a pas fait l'objet d'une réécriture. De nos jours l'opéra commence directement avec l'ouverture du premier acte.
Nahum Tate, le librettiste, a effectué quelques changements dans l'histoire afin qu'elle soit plus courte et que son déroulement dramatique soit plus clair. Dans la version de Virgile, le Deus ex machina est incarné par Jupiter qui, par le biais de Mercure, rappelle à Énée son destin : il le somme de quitter Carthage au plus vite et de renoncer à son amour pour Didon, car sa destinée est de créer Rome. Dans l'opéra, le rappel du devoir (fait par un esprit) est une vile manipulation de la Sorcière pour empêcher Didon d'avoir une fin heureuse. De plus, dans un souci de clarté dramaturgique, Tate a simplifié les intrigues amoureuses : par exemple, dans le texte original, Didon a déjà été mariée et elle a juré fidélité à son mari tué. Elle a par ailleurs un prétendant furieux de l'arrivée d'Énée (c'est d'ailleurs lui qui informe Jupiter de l'intention d'Énée de rester dans la version de Virgile). Cette simplification a pour conséquence de rendre certaines motivations des personnages obscures comme celles d'Énée dont le personnage n'est que très peu développé dans l'opéra (il ne chante pas d'aria alors que Belinda la sœur et confidente de Didon en chante plusieurs). Le non-développement de certains personnages et l'absence d'autres constituent probablement la manifestation d'un choix dramaturgique de recentrer l'action uniquement sur la tragédie de Didon.
Bien que Purcell fût considéré de son temps comme le plus grand compositeur anglais, cette œuvre n'a pas eu le retentissement qu'elle aurait dû avoir et après cette représentation à la Boarding School for Girls de Priest, elle n'a plus jamais été jouée du vivant du compositeur. Mais de par sa concision, cet opéra est resté très populaire dans les cercles privés européens pendant trois siècles. Il y a eu par exemple le 14 décembre 1895 sa première en dehors de l'Angleterre en version de concert à l'University Society à Dublin, ou encore sa version française le 21 mars 1927 à la Petite scène à Paris. Il faudra attendre le début du XXe siècle et le mouvement de renaissance de la musique anglaise incarné par des compositeurs comme Benjamin Britten pour que cet opéra baroque anglais soit réhabilité comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la musique baroque anglaise et que Purcell soit enfin reconnu comme un grand maître de l'opéra.