Didon et Énée, quand la magie prend vie à l'Opéra Royal de Versailles
Cécile Roussat et Julien Lubek sont les créateurs d'un spectacle pluridisciplinaire réunissant exigence et superbe, mettant en scène le célèbre Didon et Énée de Henry Purcell. Les décors, faits de grottes en carton-pâte, de draps tendus imitant les flots, d’un poisson mécanique ou encore d'un poulpe animé, semblent avoir pu exister à la création de l’œuvre. Se servant des éclairages, de paillettes, d’effets spéciaux simples mais saisissants, les metteurs en scène savent créer des tableaux à la beauté subtile aussi bien qu’effrayants, rappelant parfois la magie d’une parade à Disneyland.
L'écrin que leur offre l'Opéra Royal de Versailles est tout indiqué pour cette esthétique classique tout en étant innovante. Les danseurs et acrobates ajoutent poésie, beauté, magie et sorcellerie à cette scénographie éblouissante.
L'Orchestre de l'Opéra Royal, sous l'archet de Stefan Plewniak, également premier violon, sait trouver les couleurs et les contrastes qui font vivre cette musique : tantôt âpre, tantôt dansante, languissante ou virevoltante, la sonorité de l'ensemble s'adapte sans cesse aux différents tableaux. Plewniak dirige avec une grande générosité, qu'il joue également ou non, et celle-ci se transmet aussi bien aux chanteurs qu'aux instrumentistes. Le Chœur de l'Opéra est placé derrière l'orchestre et non sur scène, ce qui pose parfois un léger problème de volume trop élevé, malgré le petit nombre de chanteurs. Ils se rattrapent cependant par leur musicalité, leur précision, et l'ardeur avec laquelle ils font vivre cette musique avec l'orchestre.
Incarnant la Reine de Carthage, Sonya Yoncheva ressemble parfois plus à une Walkyrie : sa voix ne semble plus tout à fait taillée pour la musique de Purcell (de ses débuts), et la chanteuse ne cherche aucunement une sonorité baroque. Elle utilise au contraire beaucoup le registre de poitrine, manque de fait parfois de souffle et de clarté dans sa prononciation anglaise. Elle délivre malgré cela un air final tout en rondeur dans lequel se retrouve son timbre métallique et chaleureux, plein d'émotion même si très puccinien par moments.
À l'inverse, la jeune Sarah Charles interprète le rôle de Belinda avec le brio d'une voix légère tel un rossignol, le vibrato serré à souhait, ainsi que tous les trilles et ornementations nécessaires à cette musique. La diction est pure et précise, le timbre chaleureux, la chanteuse semblant faite pour le répertoire baroque. À ses côtés, Lili Aymonino fait une apparition convaincante, avec un timbre rond et une présence forte.
Pauline Gaillard et Yara Kasti forment un duo de sorcières très équilibré et homogène. Lorsqu’elles sont suspendues dans les airs en sirènes maléfiques, le soutien leur fait légèrement défaut et leurs voix manquent de projection, mais revenues sur la scène, elles retrouvent un timbre plus chaud et agréable.
Côté masculin, Halidou Nombre déploie dans le rôle d’Énée un vibrato parfois trop large et une voix difficilement maîtrisée et un peu poussée qui manque de timbre et de graves. Il fait preuve malgré tout d'une intensité vocale convaincante et d'une noble présence scénique.
Attila Varga-Tóth, quant à lui, sorcière-poulpe géant, rappelant Ursula dans La Petite Sirène, possède une voix profonde et très théâtrale mais légèrement dépourvue de registre de tête. Enfin, Arnaud Gluck, qui chante également dans le chœur, est en Esprit un contre-ténor au joli timbre léger et brillant et au vibrato un peu nerveux.
La soirée est un grand succès, le public applaudit à tout rompre l’intégralité de l’équipe responsable de ce spectacle époustouflant.