Requiem de Mozart recueilli au Théâtre des Champs-Elysées
Car si le Requiem de Mozart est souvent donné un peu partout dans les salles et les églises parisiennes, l’œuvre ultime et mythique de Mozart (commandée par le comte Walsegg pour rendre hommage à se défunte épouse, inachevée par le compositeur emporté par une maladie indéterminée à l’âge de 35 ans et complétée par ses élèves Eybler puis Süßmayr) est rarement interprétée par un quatuor de solistes aussi prestigieux.
Avant de se lancer dans l’attaque célèbre d’accords graves et douloureux en ré mineur qui ponctuent l’Introït de la Messe des Morts, Bertrand de Billy, à la tête de l’Orchestre National de France, propose les Sept Répons des ténèbres de Poulenc en guise de première partie. Ce rapprochement entre deux œuvres qui ont quasiment deux cents ans d’écart et qui n’ont pas de concordance liturgique, la première au programme étant écrite sur des textes latins mais réservés à l’Office des Ténèbres de la Semaine Sainte, peut paraitre étrange mais constitue de fait une proposition audacieuse.
Ces Répons, rarement donnés, sont une commande de Leonard Bernstein à Poulenc pour l’inauguration d’une nouvelle salle de concert au Lincoln Center de New York, et seront joués pour la première fois après la mort du compositeur le 11 avril 1963.
Bertrand de Billy propose ici une version rigoriste et austère de ces déplorations, chantées par la Maîtrise de Radio France (dirigée par Sofi Jeannin) et par une jeune fille membre de la Maîtrise en soprano solo. La battue du chef, par trop rigide et fixe, ne laisse pas aux jeunes voix la liberté de s’épancher et de phraser de manière convaincante ces sept épisodes des derniers jours du Christ. Entre les attaques fragiles et brouillonnes de l’orchestre, le son très droit et un peu acide du chœur et une jeune soliste à l’intonation certes juste mais dotée d’un timbre trop frais et d’un souffle trop irrégulier, l'ensemble ne prend pas vraiment pendant cette première partie.
Fort heureusement, dès les premières notes du Requiem, la soirée prend une tout autre tournure. La battue devient souple et inspirée, le Chœur de Radio France (dirigé par Lionel Sow) entonne de manière convaincue et poignante la marche funèbre pénétrante du Requiem aeternam, et la tension ne va désormais plus se relâcher jusqu’au terrible Quia pius es final.
L’Orchestre National de France propose de belles envolées structurées et précises, avec un son d’ensemble lisse et velouté grâce au soyeux de ses cordes. Le chef n’hésite cependant pas à faire la part belle aux bois et aux cuivres (notamment un sobre et élégant solo de trombone au début du Tuba mirum).
Surtout, grâce aux équilibres pointilleux et à l’exigence de Bertrand de Billy, la phalange nationale (qui fête ses 90 ans cette année) laisse toute la place au Chœur et aux solistes pour s’épancher sans brusquer le volume ou durcir les grandes apothéoses mozartiennes.
Le Chœur de Radio France (dont les membres chantent quasiment sans jeter un œil à la partition, tant ils sont habitués à cette œuvre) démontre ici son savoir faire dans l’étalage d’une palette de couleurs très variée, du rouge vif colérique du Dies Iræ au noir opaque des plaintes saisissantes de la fin du Confutatis, en passant par le doré puissant des interjections du Rex Tremendæ. Dans les deux grandes fugues, la clarté des entrées et le dosage des pupitres sont savamment gérés, et le Chœur fait montre d’une gradation de nuances très engagées.
Côté solistes, le plateau tient toutes ses promesses. Jean Teitgen, dont le phrasé est parfois un peu brut, déploie de son timbre massif et profond un volume et une projection de grande ampleur avec une justesse et une qualité d’articulation louables.
Cyrille Dubois s’empare des phrases de ténor, avec une facilité évidente, sans jamais claironner dans l’aigu, en chantant avec luminosité et musicalité et offrant à chaque intervention un sens du texte inspiré et raffiné.
Ève-Maud Hubeaux distille avec franchise et étoffe son timbre chaud et rond, ne forçant jamais son grave cuivré et généreux, et trouvant sa place dans les quatuors avec un grand sens de l’équilibre.
Enfin, Lisette Oropesa déclame avec un solide legato, une prononciation impeccable et une égalité dans les registres, de longues phrases incarnées et défendues avec une émotion palpable, notamment son entrée et sa partie conclusive où la salle frémit avec elle de l’intensité du moment et de la gravité d’un texte musical aussi impérissable.
Après quelques secondes de recueillement final suite au dernier accord, le public du Théâtre des Champs-Élysées offre une longue et intense ovation aux instrumentistes et aux chanteurs de cette production Les Grandes Voix, de longues minutes durant.