Orliński Beyond à Ravenne
Ce programme intitulé "Beyond" (au-delà) convoque plus d'une douzaine de compositeurs, mettant en scène des héros en mal d’amour, désirants, rejetés, méprisés ou résignés.
Il fait aussi écho au Retour d'Ulysse dans sa patrie donné en ouverture du Festival, car après quelques airs du début du XVIIe siècle dans le style recitativo pur des florentins, il explore des pages méconnues du répertoire si riche des opéras vénitiens, plus tardifs, dans les théâtres publics.
L’ensemble Il Pomo d'Oro est ce soir dans une configuration de responsabilité partagée, sans chef, avec quelques impulsions de départ données par Alfia Bakieva au premier violon, qui allie virtuosité et subtilité. Le continuo très varié (violes, théorbe, guitare, harpe, orgue et clavecin) est un écrin attentif et soigné au chant déployé tandis que les autres instruments affirment la virtuosité des pièces instrumentales et des airs.
De son entrée jusqu’à la fin, Jakub Józef Orliński s’inscrit dans une dramaturgie qui articule entre elles toutes les pièces du concert. Omniprésent (même pendant les moments instrumentaux qu’il "vit" en direct), il procède à une progression de passions représentées au fil des airs. Son visage est un théâtre où se déploient les péripéties dans leur déroulement. Sa maîtrise du corps (breakdancer en forme olympique) le fait parfois chorégraphier ses déplacements, mais surtout lui permet, par une conscience théâtrale affirmée, de seconder le son, toujours en phase avec le sens.
Il évolue sans cesse, musicalement, sur l’avant-scène, dans la salle, derrière les musiciens, dans un lent cheminement qui permet les métamorphoses de ses diverses incarnations, avec comme accessoires, un manteau et une lampe. S’enveloppant dans ce manteau comme il le faut, il figure à un moment une de ces fameuses nourrices lubriques, clichés de l’opéra vénitien, dans une incarnation irrésistible. Le travestissement vraisemblable dans la posture contamine aussi la voix qui déraille un peu, au plus grand plaisir de l’auditoire !
Show man en pleine maturité vocale et en pleine maîtrise des codes de représentation qu’il incarne avec le plus grand naturel, l'évidence surgit de ce qui relève pourtant de la plus grande maîtrise technique. Il possède une maîtrise totale des systèmes d’ornementation, qu’il s’agisse du trillo ribattuto florentin (un trille qui rebat la même note), ou des variations improvisées rhétoriquement, dans le répertoire vénitien. Il campe les amants éplorés, comme il déclame une déclaration d’amour des plus candides et émouvantes.
La voix est désormais d’une grande ampleur tant en tessiture qu’en dynamiques. Il sait passer du rugissement à la plus impalpable tendresse, avec toujours cette sensation du geste juste.
Devant tant d’énergie sincère et généreuse, le public répond par un triomphe bien justifié auquel les artistes offrent en réplique le cadeau de trois arias et d’une reprise.
Voilà de quoi clore ce Festival en beauté, et de quoi continuer à regarder avec joie, au-delà (Beyond)...