Jakub Józef Orliński et Michał Biel, récital européen à Strasbourg
Après une prestation remarquée à la Cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Paris, et pour son deuxième récital à l’Opéra National du Rhin, Jakub Józef Orliński a fait une nouvelle fois le choix d’un programme composé de pièces du répertoire baroque, qui a fait sa célébrité, et de pages pour chant et piano des dix-neuvième et vingtième siècles, lesquelles ne sont pas forcément associées à la voix de contreténor.
Otro momento impresionante de la ceremonia inaugural de los @Olympics el gran contratenor Jakub Józef Orliński canta y baila estilo break dance un aria de Les Indes Galantes de Rameau. pic.twitter.com/PVhIRz1owk
— Arturo M. Duplancher (@Duplancher) 27 juillet 2024
Chacune des deux parties du concert est ainsi composée sur le modèle suivant : un air classique italien et deux groupes de Lieder, mélodies ou Songs, suivies à nouveau d’un air italien pour clore en beauté la partie. C’est ainsi avec des extraits de Haendel (Agrippina et Partenope) que démarre et se termine le récital, la deuxième partie débutant avec l’air « Dovrian quest’occhi piangere » extrait du Scipione il giovane de Predieri, page qui a fait le succès d’un des récents albums d’Orliński.
La fin de la première partie le fait entendre dans l’air d’Unulfo « Un zeffiro spirò » extrait de Rodelinda, souvenir pour certaines et certains des belles représentations lilloises de 2018. Dans un souci louable de faire connaître le répertoire musical de leur patrie, le chanteur et son pianiste ont également mis au programme, pour chacune des deux parties, une sélection de mélodies polonaises – dues à Tadeusz Baird pour la première et à Mieczysław Karłowicz pour la deuxième –, la première partie permettant de faire également entendre un groupe de Lieder de Schubert, et la deuxième des Songs de Purcell.
À celles et ceux qui se plaindraient que tant d’éclectisme peut nuire à la cohérence du programme, il pourra être observé que pour Baird, les Quatre Sonnets d’amour sur des textes de Shakespeare, qui font un peu pendant aux Songs de Purcell de la deuxième partie, évoquent par leurs rythmes et leurs accents une écriture musicale ancienne, réalisant un heureux compromis entre classicisme et modernité. De même, l’inspiration populaire traditionnelle des chants du compositeur Mieczysław Karłowicz fait quelque peu écho aux Lieder de Schubert donnés en première partie. Toutes ces pièces sont accompagnées au piano, ce qui n’est pas forcément le meilleur moyen de rendre justice à la musique de Purcell, Haendel ou Predieri, qui auraient bénéficié d'un accompagnement plus discret et plus feutré. Programme varié et équilibré, donc, savamment construit, auquel est visiblement très sensible le public de l’Opéra National du Rhin, enthousiaste au point d’applaudir à l’issue de chacune des pièces composant les différents groupes.
Depuis bientôt dix ans qu’il écume les scènes internationales, Jakub Józef Orliński a fait la preuve de son expertise dans les œuvres des dix-septième et dix-huitième siècles. La beauté naturelle de son timbre chaud et rond, la longueur de son souffle, la facilité avec laquelle il exécute vocalises et ornements, en font un interprète privilégié pour des pages nécessitant à la fois vélocité, hardiesse vocale et legato infini. Si la page d’Agrippina sur laquelle s’ouvre le concert le montre un peu à la recherche de ses marques, celle de Rodelinda le révèle davantage maître de ses moyens. L’air de Partenope, de loin le plus virtuose de tous, confirme qu’il est un des grands contreténors de notre génération, même si certains de ses collègues le dépassent en termes de pure performance vocale. La douceur de l’air de Predieri suspend le temps en de vrais moments d’émotion, mais son Schubert, sans doute en raison d’un allemand monochrome, manque de colorations vocales contrastant de manière dérangeante avec le piano vivant et ardent de Michał Biel, d’une grande variété d’effets et de couleurs.
En revanche, les cycles polonais (tous deux enregistrés récemment) peuvent être appréciés à leur juste valeur, notamment grâce au surtitrage systématique désormais à l’Opéra National du Rhin pour les récitals de chant. C’est sans doute avec Purcell que vient la plus belle surprise de la soirée, Orliński parvenant à trouver dans ces pages à la fois poétiques et méditatives toutes les colorations et les variétés rythmiques et dynamiques qu’elles requièrent. C’est à Purcell d’ailleurs que le public doit les deux bis généreusement octroyés, légèrement jazzifiés dans le rythme chaloupé privilégié par les deux interprètes. Au « Fairest Isle » voluptueux et sensuel, succède « Strike the viol » agrémenté de quelques cabrioles et galipettes dont notre contreténor, athlète adepte du breakdance, s’est depuis ses débuts fait une spécialité.
L’excellence du pianiste, forcément plus à sa place dans le romantisme que dans le baroque, est pour beaucoup lui aussi dans l’enthousiasme du public. Enthousiasme peut-être dû également aux sympathiques efforts du contreténor star de communiquer verbalement avec son public à qui il s’adresse tour à tour en français et en anglais, complétant un numéro de charme réussi qui n’est pas toujours le propre des récitals chant et piano. Un rituel, en tout cas, qu’il est plaisant de voir évoluer.