Carlo Vistoli éclaire la Salle Gaveau de son chant sans pathos
La date du 9 novembre représente traditionnellement pour tous les Allemands une date historique importante et chargée d’émotion (elle est d'ailleurs surnommée "Schicksalstag" : jour du destin). De fait, l’Akademie für Alte Musik a souhaité dédier ce concert de musiques sacrées tant à la chute du Mur de Berlin en 1989 qu’à la proclamation de la République allemande depuis le balcon du Reichstag le 9 novembre 1918, mais aussi aux victimes de la terrible Nuit de cristal du 9 novembre 1938.
La musique de Jean-Sébastien Bach (le Cantor de Leipzig) ouvre la soirée avec la Sinfonia si prenante extraite de la cantate Ich geh und suche mit Verlangen (Je m'en vais plein de ferveur à ta recherche). Les parties strictement orchestrales de la soirée sont ainsi pleinement mises en relief par les qualités intrinsèques de cet ensemble et le soin apporté –voire la rigueur même– aux pièces interprétées, comme le Concerto Grosso en sol majeur de Haendel et le limpide Concerto pour 2 violons d’Antonio Vivaldi extrait de L’Estro Armonico, intensément rendu par deux violonistes majeurs de l’Ensemble, Georg Kallweit et Javier Aguilar Bruno.
Le contre-ténor Carlo Vistoli entre en scène avec la fameuse cantate Ich habe genug (Je suis comblé) de Bach en lien avec la hautboïste Xenia Löffler, parfaitement au diapason du chanteur : leurs échanges constituent presque le clou de la soirée. La voix de Carlo Vistoli semble plus assise, plus imposante encore au fil des ans avec ce timbre aux mille reliefs et si chaleureux. L’aigu se déploie avec une dimension toute particulière, le grave s’affermit et la beauté des piani ne cessent visiblement d’émerveiller l’auditeur. Loin de proposer une formule éthérée ou trop extatique, Carlo Vistoli ose les couleurs fortes et variées dans une déclinaison maîtrisée de toutes les nuances. Par ailleurs, il dépasse aisément le cadre strictement virtuose des morceaux proposés pour exposer sans aucune affectation ses sentiments et déployer une expressivité profondément religieuse. Le Stabat Mater d’Antonio Vivaldi se pare dans son interprétation d’une intensité qui étreint et qui provoque chez l’auditeur une émotion rare et profonde. Le Nisi Dominus de Vivaldi, plus virtuose avec ses guirlandes de colorature, s’inscrit dans la même veine poétique et cette même dimension. Le soufflé ne retombe jamais avec Carlo Vistoli, d’autant plus que l'Akademie für Alte Musik le soutient pleinement tout le long du concert.
Si les spiritualités de Bach et de Vivaldi (allemande et italienne) peuvent apparaître quelque peu à l'opposé l’une de l’autre, elles se rejoignent ici avec de tels interprètes. Le public de Gaveau déchaîné reçoit trois bis : un Alleluia effréné issu de la cantate In Furore de Vivaldi et deux airs de Haendel, le compositeur préféré de Carlo Vistoli ainsi qu’il l’indique.
Une partie de ce programme peut se retrouver au sein du premier disque intitulé Sacro Furore que Carlo Vistoli vient juste de faire paraître avec le même ensemble chez Harmonia Mundi, firme avec laquelle il a désormais conclu un contrat d’exclusivité pour ses futurs enregistrements.