Orlando Furioso sur l’île de Bayreuth
Captation de cette production à Ferrare, disponible jusqu'au 5 octobre 2024 :
Né dans la douleur des temps pandémiques de Covid, le Bayreuth Baroque Festival a vite (re)trouvé sa splendeur et continue de grandir encore en 2024 avec une deuxième saison d’affilée proposant deux productions mises en scène. À côté d’un spectacle fait maison, le festival fait appel à une production invitée : après l’Orfeo de Monteverdi (avec Rolando Villazón), c’est Orlando Furioso de Vivaldi, arrivé de Ferrare, qui se présente cette année sur les planches de l’Opéra des Margraves. À la différence des représentations italiennes, la distribution est ici renforcée par les artistes qui collaborent avec Max Emanuel Cenčić, son agence artistique et ce Festival qu'il dirige (un récent Orlando concertant fut également présenté à La Seine Musicale avec certains de ces chanteurs).
Le metteur en scène italien Marco Bellussi place l’action dans l’univers de l’enchanteresse Alcina (non pas sur son île toutefois mais dans son palais extravagant). L’espace scénique est fait de murs et d'un plafond en miroir (décors de Matteo Paoletti Franzato), éléments mouvants qui créent l'illusion et embrument la bordure entre fiction et réalité (relativisant la notion d’espace et de temps). Dans ce sens, les projections en vidéo de fond (Fabio Massimo laquone), avec des animations montrant la nature (forêt dans ses multiples états) amplifient cette démarche, secondée d’un jeu de lumières (Marco Cazzola) qui change selon l’intensité des moments psychologiques des scènes.
Les costumes d’Elisa Cobello transposent l’action vers l’époque contemporaine, où le palais d’Alcina devient un atelier de haute couture (avec ses ouvrières attablées aux machines à coudre), parmi de longues robes de satin et autres. La diversité d’habits et d’accessoires des personnages est un facteur supplémentaire d’illusion, le spectateur se perdant dans les méandres de cet univers d’Alcina. Le mélange global des éléments sert cette démarche dramaturgique, à défaut d’offrir une cohésion visuelle. Certains détails comme ces projections de mots sur une toile transparente soulignent l’aspect psychologique des personnages, mais à un premier degré et sans grande créativité.
L’ensemble baroque Il Pomo d'Oro, sorte de deuxième orchestre en résidence, est dirigé ce soir par leur principal chef invité Francesco Corti. L’entrée en jeu est furieuse, à l’instar du titre de l’opéra : dès la première note les tutti plongent dans une tempête portée par un tempo effréné. Les effets dynamiques et l’impétuosité des cordes jouent en synchronisation absolue. Les passages tempétueux de clavecin, séries de gammes ou d’arpèges frénétiques, tout comme la suite d'accords dissonants, teintent le drame d’effervescence. La virtuosité est ainsi substantielle tant sur scène qu’en fosse. Le flûtiste Marcello Gatti propose en contraste un moment de tendresse et de musicalité exquise dans l’air “Sol da te, mio dolce amore”, couplée avec une maîtrise technique et un phrasé saisissants. D’autres solistes font impression, à la viole de gambe notamment (avec des coups d’archet violents et de brusques basculements vers d’autres ambiances sonores) et au hautbois (avec un ton et phrasé suave). Les trompettes sur scène sont solennelles mais un peu déréglées, alors que la fosse assure un accompagnement stable tant pour les récitatifs secs que l'arioso. Les parties dansantes sont en (em)phase avec La Folia espagnole, jouée, chantée et dansée pour décrire le délire et la frénésie d’Orlando.
Le contre-ténor Yuriy Mynenko mène la distribution en interprétant le rôle-titre d’Orlando. Il domine la scène dramatiquement et vocalement, avec une ligne leste et finement élastique qui parcourt les vocalises avec aisance et d'un seul souffle. Les graves sont charnus et les cimes radieuses, avec un ton naturel. L’articulation est à son summum, avec une solide projection qui le distingue du reste de plateau.
Comme à Ferrare, Arianna Vendittelli chante Angelica avec précision et une solide souplesse vocale, même si l’intonation vacille parfois sur les bords des phrases, avec un souffle légèrement raccourci et qui peine par moment à rattraper la cadence rapide de la fosse. La tessiture et les exigences du rôle ne semblent pas adaptées à ses qualités vocales. En revanche, la voix de tête s’avère très délicate et expressive, les aigus étant sonores et vibrants, tandis que le timbre est nourri mais sans éclat ni rondeur.
La mezzo-soprano Giuseppina Bridelli marque le chant d'Alcina de densité et de noirceur, colorée de vibrato (ce qui entrave quelque peu la stabilité du ton). Les passages vocalisants sont rapides, élastiques, et d’un élan féroce. Elle livre avec force subtilité expressive les airs et récitatifs plus posés et piano, avec une vaste étendue vocale, puissante dans les aigus et charnue dans les assises. Son jeu d’enchanteresse séduisante est tout aussi remarqué.
La contralto Sonja Runje campe ici Bradamante tout de rouge vêtue : aussi bien son costume que sa perruque baroque. Sa voix est aisée, les mélismes sont naturels et léchés, d'autant que sa virtuosité s'accorde avec celle de l’orchestre. La précision rythmique et la justesse immuable d’intonation sont en phase avec la qualité du ton, l’assise étant nourrie et les cimes douces et lumineuses.
Le contre-ténor Tim Mead manque de conviction dans son jeu scénique en Ruggiero. Le phrasé est terni par un manque de nuances et un vacillement vocal entre registres, le fausset ressortant dans le domaine supérieur de sa gamme. La voix est mature et descend plutôt vers le ténor, les graves étant probants et sonores. Le timbre reste assez lumineux, mais quelques discordances rythmiques s’installent avec l’orchestre à la fin du spectacle.
La contralto Chiara Brunello campe le rôle travesti de Medoro, avec un appareil sombre et étoffé qui parcourt facilement ses obstacles vocalisants. Le sens du phrasé est naturel et bien musical, avec l'appui solide du rythme et de la justesse, complété par sa présence scénique et le texte savamment articulé.
Enfin, José Coca Loza en Astolfo possède de l’étoffe et de l’ampleur, mais le phrasé manque de rondeur et la projection de la stabilité. Dans les airs plus lents, il retrouve une expression plus ciselée, avec un legato soyeux mais manquant de délicatesse.
Le Chœur de l’Accademia del Santo Spirito (préparé par Francesco Pinamonti) se présente brièvement dans les scènes de cérémonies, apportant de la masse et de la solennité par un chant précis et compact.
Le public acclame l’ensemble de l’équipe artistique pendant de longues minutes d’applaudissements retentissants.
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