Adriana Lecouvreur, il suffit de quelques modestes fleurs…
Comme chaque année et selon une habitude désormais durablement établie, l’Opéra national de Lyon propose au Théâtre des Champs-Élysées, une version concertante de prestige d’un ouvrage lyrique du répertoire. Avec ses airs et ensembles magnifiques, ses personnages presque démesurés, son efficacité dramatique certaine, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea parle encore et toujours au cœur du public. Mais l’ouvrage créé en 1902, avec notamment Enrico Caruso dans le rôle de Maurice de Saxe, ne peut réellement révéler toutes ses beautés qu’en réunissant un plateau vocal de premier plan.
Autrement, il risque de fonctionner à peu, à vide ou à moitié... Mais rien de tel pour cette version qui affiche notamment pour sa prise de rôle, Tamara Wilson dans le rôle-titre. Après sa toute récente Turandot irradiante à l’Opéra Bastille, la cantatrice montre ici un autre versant de ses capacités : celles d'une grande voix saine et lumineuse, projetée avec une aisance remarquée, capable des plus brillants élans dramatiques. Tamara Wilson mesure certes encore ses effets, tout en se distinguant par une emphase contrôlée et un récit de Phèdre accablant pour la Princesse de Bouillon, sa rivale dans le cœur de Maurice de Saxe (comme toujours, vous pouvez connaître toute l'histoire de l'œuvre sur notre page dédiée). L’approche du rôle en version mise en scène lui permettra sans doute d’impulser au personnage un peu plus d’abandon et de poésie dans ses échanges amoureux. De même, des piani plus aboutis pourront conférer à Adriana cette part de sensualité dans la ligne de chant qui fait encore un peu défaut pour proposer un portait décidément complet de la grande comédienne. Mais la prestation de Tamara Wilson bouleverse déjà ainsi de bout en bout (augurant encore au mieux pour son retour à l’Opéra Bastille, dans le rôle-titre de Beatrice di Tenda de Bellini en février prochain auprès de Pene Pati et d'Amitai Pati, dans une mise en scène de Peter Sellars).
Après Calaf lui aussi à Bastille, le ténor Brian Jagde se hisse à la hauteur de sa partenaire avec un Maurice de Saxe exalté, intense, proposant un chant nourri et affirmé, un aigu libre de toute contrainte et d’une générosité qui emporte dans ses élans. Misha Kiria campe un Michonnet marqué d’une forte présence, faisant ressortir avec profondeur tout l’amour et l’affection qu’il porte à Adriana. Sa voix de baryton puissante et calibrée, se heurte à quelques aigus sans pour autant dénaturer une prestation particulièrement attachante.
Dès son air d’entrée si difficile Acerba voluttà pleinement maîtrisé et volcanique de ton, Clémentine Margaine incarne une Princesse de Bouillon totalement envahie par la passion et le désir. Son incarnation est saisissante, italienne aussi par son implication et l’utilisation des écarts de registre (qui n'est pas sans rappeler Giulietta Simionato, interprète emblématique du rôle). La voix déploie un vaste panel de couleurs sombres et inquiétantes, tandis que l’aigu surprend par la franchise de son émission (Clémentine Margaine retrouvera le rôle lors des représentations d’Adriana Lecouvreur à l’Opéra Bastille programmées en janvier et février 2024, avec déjà Anna Netrebko puis auprès d’Anna Pirozzi).
Maurizio Muraro prête sa voix sonore de basse au rôle du Prince de Bouillon, tandis qu’auprès de lui le ténor élégant de Robert Lewis campe un Abbé de Chazeuil fort savoureux dans sa duplicité. Le plateau vocal se trouve complété avec talent, application et investissement par la soprano Giulia Scopelliti (Mademoiselle Jouvenot) et la mezzo Thandiswa Mpongwana (Mademoiselle Dangeville), le baryton-basse Pete Thanapat (Quinault), tous trois solistes du Studio de l'Opéra de Lyon (comme et Robert Lewis) par Léo Vermot-Desroches (Poisson) qui emporte le quatuor dan son sillage.
La direction musicale de Daniele Rustioni frappe par son élégance et son souci permanent du détail et de l’expression la plus juste. Sous sa baguette passionnée, les moments les plus tumultueux de la partition apparaissent pleinement en exergue par son Orchestre de l'Opéra national de Lyon, tandis que les passages plus intimes, plus poétiques, se parent d’un raffinement qui vise presque à l’impalpable. Les Chœurs préparés par leur chef Benedict Kearns n’ont aucune peine à se révéler à la hauteur des enjeux de cette soirée mémorable, vivement saluée et applaudie par le public du Théâtre des Champs-Élysées.