Vérone au Far-West à l’Opéra de Nancy
Avec cette production, Pınar Karabulut effectue ses débuts de metteuse lyrique en scène en France, sachant que ce travail sera présenté ultérieurement sur les scènes du Théâtre de Magdebourg en Allemagne, de Saint-Gall en Suisse, ainsi qu’à l’Opéra Ballet de Flandre, maisons coproductrices du spectacle. Très présente au théâtre sur les scènes d’Allemagne, Pınar Karabulut a abordé la mise en scène d’opéra au Deutsche Oper de Berlin avec le premier ouvrage du compositeur britannique Mark-Anthony Turnage en 2021 intitulé Greek, puis avec Il Trittico de Puccini l’an dernier, spectacle fort discuté pour ses radicalités et son explosion de couleurs.
Pınar Karabulut, s’éloignant ici délibérément des racines italiennes et shakespeariennes de l’ouvrage a souhaité transférer l’action dans les plaines du Far-West américain au milieu des cowboys. Cette société constitue pour elle l’essence même du système patriarcal au sein duquel la parole de la femme représente peu de chose !
Le couple inhabituel et fusionnel formé par Roméo et Juliette se heurte donc de plein fouet au système en place et ne parvient pas à s’imposer sinon dans la mort. Pour formuler son propos, la metteuse en scène inscrit son spectacle dans un cadre très particulier avec des couleurs particulièrement vives (notamment les éclairages distillant une ambiance orangée très années 1960/70) et une scénographie somme toute minimaliste.
Juliette (Yaritza Véliz) ne semble pas rassurée de devoir chanter son amour pour Roméo depuis une plate-forme élevée encore orangée d’ailleurs (couleur bien peu flatteuse au même titre que la robe curieusement coupée et bigarrée de l’interprète) et qui plus tard se transformera en tombeau.
Capellio a l’air du sheriff local au milieu de chevaux empaillés qui haussent la tête ou émettent des fumées depuis leurs naseaux aux moments les plus intensément dramatiques. Le traitement même des interprètes demeure un peu convenu et non transgressif, sans que l’émotion attendue dans cet ouvrage dramatique se situant aux sources du belcanto italien ne soit réellement visée. Il faudra attendre la grande scène finale bien réglée et la mort conjointe des deux jeunes gens pour que l’auditeur paraisse enfin bouleversé.
Il faut avouer que le talent des deux interprètes ici réunis y contribue pour beaucoup. Annoncée souffrante en début de représentation par Matthieu Dussouillez, directeur général de l’Opéra national de Lorraine, la jeune soprano chilienne Yaritza Véliz, fort remarquée en Donna Elvira du Don Giovanni de Mozart à l’Opéra de Rouen Normandie en avril dernier, déploie en Juliette un chant vibrant et passionné. Le timbre s’avère lumineux et fluide, l’aigu s’impose par sa facilité et sa ligne de chant propose une ornementation toujours juste.
Julie Boulianne, magnifique Iphigénie en Tauride sur cette même scène de Nancy l’année dernière, campe un Roméo prêt à déplacer les montagnes, enflammé et d’une grande vérité dans sa gestuelle. Pınar Karabulut n’a pas voulu maquiller le personnage qui demeure une femme sous un habit d’homme avec ses cheveux flottants. Julie Boulianne investit chaque moment de son interprétation, en premier lieu par l’intensité de ses moyens vocaux de mezzo-soprano, les couleurs sombres et affirmées qu’elle utilise, la projection imposante qui régit l’ensemble de sa prestation jusqu’aux aigus les plus extrêmes. Les deux voix se complètent à merveille et donnent à cette soirée toute sa hauteur.
Le ténor David Astorga dispose de moyens affirmés et larges, mais aussi d’une quinte aiguë réelle qu’il bouscule tout de même un peu avec un petit accident de parcours au deuxième acte. Il chante aussi constamment en forte au détriment de la souplesse ou de la nuance qui pourtant s’imposent au rôle de Tebaldo.
Le baryton Donnie Ray Albert campe un Capellio surtout solide et fier, droit dans ses bottes, ses convictions et sa haine de l’autre camp. Pour sa part, Manuel Fuentes donne libre cours à sa voix percutante dans le rôle de Lorenzo, très singulière de timbre et au chant un peu trop tubé. Ici aussi, la ligne vocale gagnerait à plus d’inventivité.
Placé à la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra national de Lorraine, ce dernier certes fort investi mais dont l’italien pourrait être mieux maitrisé, le chef espagnol Ramón Tebar ne cherche pas à alléger tout particulièrement sa direction musicale au premier acte, un peu trop appuyée, sinon accentuée au détriment de l’esprit de la musique enchanteresse de Bellini. Au deuxième acte, le ton global apparaît bien plus harmonieux, plus lumineux, et son accompagnement fort soigné du duo final réserve des trésors de tendresse pour ses deux interprètes. Il fait ici plus que les soutenir dans cette scène périlleuse.
Le public nancéien, très attentif tout au long de la représentation, réserve un accueil enthousiaste à l’ensemble des interprètes, accueillant l’équipe de mise en scène sans réellement manifester de rejet ou d’approbation d’ailleurs.