Brahms et Mozart, « une filiation naturelle » au Festival de Saint-Denis
« Entre classique et romantique », telle est la devise de l’ensemble Le Cercle de l’Harmonie et de son chef Jérémie Rhorer qui revisite le répertoire au plus près du geste créatif des compositeurs avec une démarche d'affranchissement. En résulte une proposition originale défendue sans compromis. Leur ligne directrice semble également résider dans la création de passerelles entre des répertoires d’époques différentes comme l’illustre l’Introïtus du Requiem de Mozart (« Le repos éternel, donne-leur Seigneur ») qui semble une émanation de la fin apaisée de la Rhapsodie pour alto de Brahms.
Dans cette pièce, Le Cercle de l’Harmonie fait immédiatement entendre un son rond et velouté dans un équilibre constant entre les cordes et les bois. Pour le Requiem, d'un geste haut (le chef admet être un admirateur du « beau geste » des joueurs de tennis), Jérémie Rhorer insuffle des dynamiques tantôt apaisées tantôt nerveuses, des nuances détaillées, des phrasés aux reliefs captivant, le tout au service d’une expressivité touchante.
La collaboration de l’orchestre et du chœur Les Éléments (préparé par Joël Suhubiette) n’est pas nouvelle et une véritable osmose se produit entre les deux groupes. Le son est idéal d’homogénéité et de beauté. Si les passages vocalisés se diluent quelque peu dans la voute de la basilique, le texte est cependant émis précisément. Les nuances sont éloquentes et la projection de « Rex » est rutilante d’harmoniques. Les hommes chevauchent le « Confutatis » vaillamment et les femmes leur répondent dans un son extatique saisissant.
Marie-Nicole Lemieux s’investit pleinement dans l’interprétation de la Rhapsodie pour alto de Brahms. Désireuse de transmettre le texte de Goethe à l’ensemble de l’auditoire (même à celui placé au fond de la nef), elle s’appuie sur des consonnes allongées ou percussives. Chaque mot est travaillé, les éléments hostiles sont rendus dans la noirceur du registre de poitrine et le désespoir dans la suspension des aigus. Puis tout à coup, au moment d’évoquer la transformation « du calice de l’amour en fiole de la haine », elle est obligée de s’arrêter pour tousser. Toute contrite, elle fait valoir qu’elle est un humain comme tout un chacun et « qu’un virus la talonne ». Le public en empathie l’applaudit et, après quelques gorgées d’eau, la Rhapsodie peut reprendre. La mezzo-soprano achève l’œuvre sans montrer de signe de faiblesse, et, dans un apaisement teinté d’espoir, la voix rayonne dans toute sa plénitude.
Le quatuor vocal interprétant le Requiem de Mozart semble un modèle d’équilibre, chacun exécutant sa partie en pleine conscience du tutti.
La soprano Axelle Fanyo investit ses parties avec aisance et naturel. Toutefois, sa voix ne vibrant pas de façon homogène, le legato et le phrasé en sont quelque peu altérés. Elle s’intègre cependant parfaitement aux ensembles, ses aigus préservant une certaine contenance.
Adèle Charvet assume la partie d’alto de sa voix chaleureuse et homogène. Elle prend toute sa place dans les ensembles, sa projection préservant l’épanouissement de son timbre.
Si la présence du ténor Sahy Ratia semble parfois quelque peu en retrait, sa voix est lumineuse et libre au service d’un phrasé apaisé.
Le baryton-basse Guilhem Worms vient parfaire l’homogénéité du quatuor de sa voix profondément ancrée. Sans projection ostentatoire, il annonce les trompettes du jugement dernier, ses graves pouvant cependant se perdre quelque peu dans l’acoustique de la Basilique.
Le public, touché par la proposition originale et sincère des artistes, fait entendre une acclamation soutenue.