Simon Boccanegra à Bastille : le retour du Doge Tézier
La scène s'ouvre sur une imposante quille de navire, symbole du pouvoir menaçant et menacé du corsaire au tragique destin de doge. La mise en scène de Calixto Bieito est axée autour de cette quille, coquille vide explorée tout au long de la performance, dans ses méandres à l’image de l’intrigue et de la psychologie des personnages. La scène bénéficie également des projections vidéos de Sarah Derendinger, enrichissant la narration par des images évocatrices : celles retransmettant l'action sur scène, en particulier pour s’approcher au plus près des personnages lorsqu’ils s’éloignent.
Les costumes conçus par Ingo Krügler évoquent les tenues de la classe ouvrière des années 1950, et certaines ressemblances dans ce vestiaire indiquent les proximités entre factions ou entre individus.
La mise en scène de Calixto Bieito, tout en étant minimaliste, réussit ainsi à créer un espace expressif pour l'histoire, cadré par les lumières de Michael Bauer et appuyé par une direction musicale attentive.
Les chœurs, sous la direction d'Alessandro Di Stefano, offrent une performance harmonieuse musicalement, bien que le jeu scénique des choristes dans certaines scènes clés soit sous-exploité au vu de l’expression dramatique.
Chaque soliste apporte pourtant une contribution riche et individualisée à la réalisation de l'œuvre de Verdi, soulignant les problématiques émotionnelles et les nuances dramatiques de l'opéra. Avec cette théâtralité, Etienne Dupuis déploie en Paolo Albiani une gamme vocale nourrie et profondément nuancée pour explorer les facettes complexes de son personnage. L’autre courtisan, Pietro, est incarné tout en contraste, en douceur et clarté par Alejandro Baliñas Vieites, bien qu'il s’approche d’une puissance vocale fidèle aux exigences de son rôle et de ce répertoire.
Paolo Bondi, en capitaine des arbalétriers, emploie un chant plus dramatique avec un timbre chaleureux mais vulnérable. Marianne Chandelier offre une légèreté et une subtilité contrastant avec le personnage d'Amelia dont elle est la servante. Ces personnages enrichissent ainsi la palette vocale de l'ensemble.
Jacopo Fiesco, interprété par Mika Kares, joue un rôle crucial dans l'opéra, incarnant une figure centrale autour de laquelle gravitent des enjeux majeurs de l'intrigue. Sa performance vocale est à cette image, caractérisée par une ample puissance, qui résonne à travers la salle. Le timbre est riche, chevronné, l'utilisation de vibratos ajoutant une couche supplémentaire de complexité et de profondeur au caractère.
Charles Castronovo, dans le rôle de Gabriele Adorno, propose une performance épurée et précise, exprimant avec finesse l'amour profond que ressent son personnage pour Amelia. Sa technique vocale, agile et caractérisée par un timbre chaud dans une tessiture plutôt légère, permet de transmettre efficacement les émotions sous-jacentes de la musique, notamment lors de son premier duo avec Amelia.
Nicole Car, incarnant Maria Boccanegra (Amelia Grimaldi), se distingue par une puissance vocale qui remplit toute la salle et un travail lyrique raffiné et dynamique, adaptant son timbre et son interprétation aux différentes situations dramatiques avec une grande agilité. Son "salut" final témoigne de son engagement scénique et vocal, concluant sa performance avec une élégance et un dynamisme qui captivent le public.
Retrouvez notre interview de Nicole Car à l'occasion de cette prise de rôle
Ludovic Tézier incarne Simon Boccanegra en naviguant avec aisance à travers les diverses strates émotionnelles de son personnage, grâce à un timbre chaleureux et une articulation claire et précise. Sa performance vocale révèle une compréhension profonde de la complexité inhérente de ce simple pirate devenu Doge de Gênes, alternant entre puissance et vulnérabilité avec une maîtrise constante des nuances et de la projection.
La direction musicale de Thomas Hengelbrock se distingue par une approche raffinée des solos instrumentaux et un équilibre orchestral recherché, permettant des nuances subtiles dans une interprétation équilibrée, adaptée à la richesse de la partition mais aussi aux dimensions de la salle (par des montées expressives lorsque nécessaire).
Cette production de Simon Boccanegra à l'Opéra de Paris souligne la profondeur et la complexité de l'œuvre de Verdi, grâce à une interprétation où chaque membre de la distribution enrichit le récit par sa présence vocale et scénique. Le public exprime sa reconnaissance envers tous les artistes, avec une attention particulière accordée à Nicole Car et Ludovic Tézier.