Winona Berry et Yvanna Burel remportent le 6ème Concours Voix des Outre-mer
Chaque année, le public de cet événement remplit l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, dont la taille est toujours la même et pourtant... le public semble plus nombreux chaque année. La file devant l'Opéra est certes rallongée car un autre spectacle se déroule en même temps dans la grande salle, celle pour l'Amphithéâtre n'en serpente pas moins, encore, une fois les portes franchies et l'escalier descendu. La chaleur et la ferveur du public exprime encoure et toujours son ravissement de découvrir de nouvelles voix, et de voyager à travers la France donc le monde grâce aux 11 représentants ultra-marins (tous fiers ambassadeurs de leurs îles et terres).
Le plaisir du public est aussi flatté par les chaleureuses et souriantes présentations de la journaliste Laurence Roustandjee et du maître de cérémonie (et du concours) Fabrice di Falco. Il l'est également par les choix des morceaux, presqu'exclusivement des tubes du répertoire. Carmen vient même en ouverture et en conclusion de la soirée, chantée d'abord par tous les candidats puis interprétée pendant la délibération du jury par la lauréate de l'année dernière, Axelle Saint-Cirel (avec une piquante douceur, de ronds appuis vers des aigus irisés) dans un finale invitant plusieurs anciens candidats et amis du Concours.
Vous pouvez retrouver notre article de présentation présentant cette Finale du Concours Voix des Outre-mer 2024 et cliquer sur le nom de chaque candidat pour retrouver son portrait.
La mezzo-soprano Winona BERRY (Finaliste Île-de France pour Saint-Barthélemy) n'avait pas décroché le grand prix l'année dernière en raison notamment de son choix de morceau et d'une interprétation contenue (notre compte-rendu 2023). Elle opère cette année à l'inverse et s'en voit récompensée. Délaissant le caractère piquant de Stéphano (dans Roméo et Juliette de Gounod), elle fait de "Que fais-tu blanche tourterelle" un numéro de bravoure (plutôt que bravache comme attendu). Chaque note est marquée, épaisse et vibrante pour déployer la richesse de sa matière vocale via des élans résonnants.
La soprano Julienne MAHAILET (Finaliste Île-de France pour La Martinique) décroche une mention d'encouragement notamment pour son choix ambitieux, celui de chanter Salomé dans l'Hérodiade de Massenet. Pour le déploiement de sa voix sonore également, mais dont l'épaisseur et le grand vibrato résonnant estompent la clarté des paroles et le développement des phrasés. Elle sait toutefois augmenter encore l'intensité (vers les sommets aigus) de son chant d'emblée puissant.
Finaliste de Guyane, la soprano Marguerite BERGER aurait pour sa part pu espérer mieux, pour la qualité de la fin de sa prestation. La voix met toutefois du temps à d'abord s'installer (en Comtesse des Noces de Figaro). Mais une fois l'assurance (re)trouvée, elle parcourt aussi bien l'aigu intense qu'elle se pose vers un grave poitriné, le tout articulé sans effort jusqu'à un final expressif.
Fabrice di Falco annonce que la mezzo-soprano Finaliste Île-de France pour La Réunion, Alice FERRIERE interprète un morceau à l'antipode de ses habitudes. Certes, en Carmen elle aussi, la ligne manque un peu de fermeté dans les appuis et la voix peut venir à bouger, mais rarement. Son grave est riche et ses phrasés articulés longuement, jusqu'au bout des mots et des sens : au point qu'elle décroche le prix du public alors qu'elle avait la rude mission d'ouvrir le bal des solistes.
Finaliste de Mayotte, Yvanna BUREL appartient à la catégorie Jeunes Talents se découvrant une voix lyrique à l'occasion de ce concours. Fabrice di Falco dans ses présentations aux métaphores et allégories prolifiques la compare à une chrysalide devenue papillon. Sur le plan vocal, la métaphore n'a toutefois rien d'hyperbolique tant la voix d'une telle "débutante" exprime déjà des qualités de talents et de travail plus que prometteurs. Le phrasé sait s'affirmer en une droite justesse, mais pour mieux vibrer en fins de lignes. Les accents savent se faire tranchants mais pour mieux s'arrondir dans le lent balancement rythmique d'une berceuse : une illustration profonde du Summertime qu'elle interprète et qui lui vaut, évidence absolue, le Prix Jeune Talent.
Heiarii BOOSIE, qui réjouit visiblement ses proches à Tahiti avec son ukulélé, joue d'abord à l'instrument les notes de la sérénade de Don Giovanni ("Deh vieni alla finestra") avant de chanter l'air. La voix est un peu engorgée dans l'attaque et l'aigu, mais le chant se déploie avec cœur et franchise ainsi qu'une agilité apportant un grande douceur, puis, finalement un sommet épanoui très applaudi.
Ce Concours offre aussi et comme à son habitude une belle expérience humaine et de voyage à des voix totalement novices.
La soprano Laetitia SOLERE, Finaliste de La Réunion, a la voix de l'autodidacte débutante qu'elle est. Le timbre d'un brut rugueux dans le médium vient percer l'espace acoustique dans les aigus et le crescendo se tend, mais, fruit du travail d'interprétation et de sa sensibilité, la voix vient finalement s'alléger dans une touchante douceur.
Keylian JAAR (Finaliste de Martinique) explore encore en temps réel devant le public son registre de contre-ténor. Mais son grand travail préparatoire (dans ses phrasés musicaux) et l'investissement dans le texte d'À Chloris, mélodie de Reynaldo Hahn, expriment une touchante alternance, de joies et de peines.
Passé en deux jours de sélection de baryton à contre-ténor, Angerick WILLIAM (Finaliste de Guadeloupe) dit "je me suis découvert moi-même". La mention d'encouragement du jury vise certainement à l'inciter à découvrir sa voix lyrique dont il trace le contour par le reste de ses habitudes musicales. Son "Ombra mai fu" offre le fort volume d'une voix très placée mais perçante. Musicien, il sait toutefois adoucir de velours cet aigu.
Dans sa tenue traditionnelle de Nouvelle-Calédonie, Keyvan LIUFAU BUI NGOC explore avec timidité un entre-deux du registre contre-ténor. Conservant la candeur d'une berceuse, et de délicats "r" roulés, il est peu audible mais parvient à projeter des aigus, en traduisant le sentiment endeuillé d'Orphée.
Joshua DE LIZARAGA fait venir son Don Quichotte (dans la version mélodique d'Ibert) de Saint-Pierre-et-Miquelon à Paris. La voix vrombissante, très en-dehors, bouge et module en cours de mélodie. Mais la concentration et l'effet sont pleinement orientés sur le travail de conteur du texte, et, très belle surprise, sur la note finale tendrement mixée dans l'aigu.
La pianiste Kazuko Iwashima offre un accompagnement remarquable pour que les candidats puissent se démarquer en toute sécurité musicale. Son jeu instrumental allie la précision et, dans ce cadre, de subtils encouragements à l'expressivité.