La Clémence de Titus de Mozart a fait l’objet de plusieurs productions scéniques, plus ou moins concluantes d’ailleurs, au Festival d’Aix-en-Provence dont pour la première fois en 1974 avec le très regretté ténor Éric Tappy, Titus idéal, qui vient de nous quitter.

Cette nouvelle version (pour laquelle Romain Gilbert a réglé avec soin les entrées et sorties des solistes comme l’an dernier pour Otello de Verdi), dirigée par Raphaël Pichon placé à la tête de son Orchestre et Chœur Pygmalion (au-delà de la disparition d’une partie des récitatifs et après Idoménée en 2022), illustre s’il en était besoin l’importance ce cet ouvrage qu’il est possible de qualifier de testamentaire. Œuvre de commande et de circonstance, La Clémence de Titus apparaît encore aujourd’hui un peu dédaignée alors que la richesse musicale et dramatique s’impose tout au long de l’ouvrage. Certes, les numéros n’affichent pas tous la même inspiration ou la même flamme, et certains personnages pourtant importants pour la compréhension du déroulé de l’action, comme Annio et Servilia, le couple soudé et aimant, voient leurs interventions trop peu développées. C’est la figure centrale, celle de l’Empereur bienfaisant et magnanime Titus, avec ses monologues introspectifs, qui domine effectivement les situations les plus extrêmes, depuis les douloureuses conséquences de l’éruption du Vésuve en 79 avec les destructions de Pompéi et Herculanum évoquées par le souverain au tout début de l’ouvrage jusqu’à la découverte de la trahison de son ami le plus proche Sesto.

Pene Pati, pour ses débuts dans le rôle de Titus, livre une leçon de chant et d’intention psychologique. Il fait preuve d’une sorte de sérénité apaisée dans l’émission vocale qu’il met pleinement au service d’un style abouti et d’une plasticité presque solaire. Seule la vocalise pourrait être plus souple. Sa présence scénique où l’autorité le dispute à l’humanité, conquiert totalement les cœurs.

Karine Deshayes, pour sa première Vitellia, apparaît d’un accomplissement comparable. La voix impressionne par son étendue, la franchise des aigus, la vocalisation éperdue. Seul le grave pourrait être un peu plus franc. Mais elle insuffle à ce portrait de femme et de souveraine, une vérité partagée entre le sentiment de jalousie et presque de haine, avant de reconnaître au 2ème acte les vertus de Titus et d’obtenir son pardon.

Marianne Crebassa campe Sesto, l’âme damnée de Vitellia et son bras armé. Dans une forme vocale et un rôle qu’elle maîtrise à la perfection, la mezzo soulève d’enthousiasme le public dans son interprétation ébouriffante de son air "Parto, Parto". La voix offre une somptuosité nouvelle, s’appuyant sur des graves totalement exploités et une facilité dans l’émission combinée à une approche psychologique avérée. Elle sait traduire les tourments et les vicissitudes de Sesto, écartelé entre son amour pour Vitellia et son affection amicale pour Titus. Même avec l’explosion retentissante d’un spot au cours de son air, elle demeure stoïque, totalement concentrée sur son sujet.

Lea Desandre en Annio livre un chant d’une fraîcheur remarquée, utilisant des couleurs pleines et variées pour donner corps à ce personnage tout d’amour pour Servilia. Cette dernière est interprétée avec une grâce toute féminine par la soprano américaine Emily Pogorelc. La voix est ravissante, légère aussi et démontre les qualités d’une vraie musicienne.

Enfin, avec sa solidité habituelle et son sens de la scène, la basse Nahuel di Pierro donne toute sa juste mesure au rôle de Publio.

Dès les premières mesures de la partition, Raphaël Pichon insuffle une réelle tonicité à la musique de Mozart, variant à l’infini les colorations des instruments anciens qui composent l’Orchestre Pygmalion, ce dans un souci permanent d’exigence artistique et d’authenticité. Il veille à laisser s’exprimer sans contrainte excessive les chanteurs en présence. Par ce biais, la partition de Mozart vient comme s’éclairer de l’intérieur. Le Chœur Pygmalion, très présent en cette édition du Festival d’Aix-en-Provence, notamment pour l’aventure Samson de Rameau portée par Raphaël Pichon (notre compte-rendu), paraît à son meilleur dans ses différentes interventions.

Le triomphe s'avère spectaculaire pour cette Clémence de Titus et pour l’ensemble des participants de cette soirée, qui sera retransmise par France Musique ce 23 juillet 2024 à 20h.

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