Jardin à l’anglaise au château du Tholonet
Le programme met en exergue deux grands musiciens anglais : John Dowland et Henry Purcell. Il se veut ainsi proposer un large panel d’émotions autour de l’amour contrarié, perdu, du désir et de la mort avec une première partie autour de la mélancolie sublimée par les Ayres de John Dowland, et une seconde partie composée d’extraits de The Fairy Queen et Didon et Énée de Purcell.
L’Angleterre n’est pas la Provence
Le parc du château du Tholonet est certes agréable mais n’est pas idéal pour les mélodies de Dowland, musiques intimistes en clair-obscur, compagne idéale au vague à l’âme, à la rêverie faisant l’éloge de la mélancolie, l’une des caractéristiques de la musique élisabéthaine de la fin du XVIème siècle.
Pour saisir certains de ces enjeux et présenter ce répertoire, Thomas Dunford prend la parole à deux reprises, fournissant quelques explications (certaines même en anglais), notamment sur la vie des compositeurs, palliant de son mieux l’absence des textes chantés dans le programme, comme il le fera, musicalement parlant, pour les aspects techniques.
La scène extérieure, déplacée sur le côté pour accueillir davantage de spectateurs, est en effet ouverte sans acoustique naturelle (pas de réverbération des murs, ou des pierres, pas de plafond évidemment). Le son ne peut donc se prolonger, s’épanouir, se mélanger harmonieusement d’où la nécessité d’une sonorisation, un paradoxe pour cette musique, surtout quand cette sonorisation -plus rock que baroque- peut mettre en difficulté les artistes (l’effet Larsen oblige la chanteuse à s’arrêter lors du premier chant, la réverbération est trop présente, les micros entraînent une saturation des cordes dans les forte couvrants alors la voix, tout en oubliant le clavecin). Tout au long de cette première partie, Thomas Dunford reste à l’écoute pour pallier ces difficultés techniques en adaptant en permanence son jeu à celui de sa partenaire, faisant preuve, tout comme les musiciens de l’Ensemble Jupiter, d’une réactivité remarquée au fil des morceaux. La fin de la première partie se conclut par un piquant « Can she excuse my wrongs? » et permet à la voix de Lea Desandre de déployer ses qualités vocales. La deuxième partie consacrée à Purcell est plus équilibrée, les réglages modifiés permettant ainsi une bien meilleure qualité de son et d’écoute, même pour les spectateurs placés sur le côté, au niveau des enceintes.
La mezzo-soprano Lea Desandre est effectivement à l’aise dans ce répertoire, dosant avec subtilité, élégance aristocratique et spontanéité naturelle. La voix s’épanouit tout au long du concert : les aigus sont lumineux et les graves intenses, donnant vie aux mots, laissant percevoir différents affects comme le chagrin, la peine ou au contraire la joie et l’allégresse, justifiant ainsi le titre du programme.
Elle fait preuve d’une intelligence dramatique du texte qui permet justement une compréhension de la prosodie de la langue anglaise, en suivant de près la déclamation comme dans « Go crystal tears » où elle ralentit le tempo sur les mots « and sweetly weep » (pleurez doucement) ou l’accélère sur « to quicken up » (pour l’accélérer). Nulle emphase dans ce phrasé naturel, où un léger vibrato anime le timbre, la vocalisation demeurant toujours élégante lorsqu’elle déploie de longs mélismes vocaux sur le mot « Allelujah ».
Elle peut tout aussi bien projeter sa voix avec facilité tout en restant à l’écoute de ses partenaires. Elle offre ainsi une interprétation à la fois intense et tout en retenue du célèbre air « When I am laid in earth » (mort de Didon, Purcell) concluant ce concert.
Entouré de l’Ensemble Jupiter, la mezzo-soprano parcourt ainsi les différents procédés d’écriture de cette poésie en musique caractéristique des deux compositeurs anglais. Composé de deux violons, un alto, une contrebasse constituant le quatuor de base, une viole de gambe, un clavecin et un archiluth pour le continuo, l’ensemble guidé par Thomas Dunford, pratique ainsi le consort « brisé » (de différentes familles instrumentales). La couleur d’ensemble est dense et équilibrée, les subtilités rythmiques des voix intermédiaires sont perceptibles, les pièces interprétées sont tour à tour d’une intériorité toute retenue ou au contraire s’élancent avec entrain pour les pièces à caractère dansant.
Les musiciens complices échangent aisément : le violon de Louise Ayrton se fond avec le timbre mordoré de Lea Desandre dans O let me weep, la viole de gambe de Myriam Rignol accompagne l'archiluth dans les tendres plaintes de Flow my tears ou mène la danse dans Strike the viol, le jeu de Thomas Dunford s’entremêlant avec la voix ou assurant les transitions.
Après une longue ovation de la part du public, les musiciens offrent en bis une chanson écrite par Thomas Dunford et Doug Balliett intitulée We Are The Ocean.