Tristan et Isolde entre symboles et psychologie à Bayreuth
Connu pour son travail théâtral à la Volksbühne (Scène populaire) de Berlin et 10 ans après avoir signé Lohengrin à Augsburg, le metteur en scène Thorleifur Örn Arnarsson est attendu pour ses débuts au Festival de Bayreuth.
Le décor (de Vytautas Narbutas), qui alterne entre monumentalité et format plus intime, manifeste le souci de rendre lisible la pluralité des symboles et des signes qui s'y trouvent, mais une ligne directrice peine à s'affirmer.
Très esthétique d'envergure et de conception, cette scénographie projette le spectateur, au premier acte, dans un univers plongé dans les ténèbres avec la présence de filins et de cordes qui rappelle le navire de Tristan, en route vers la Cornouaille. Les lumières (signées Sascha Zauner) font régner d'un bout à l'autre de la soirée une atmosphère entre chien et loup, tel un tableau de Georges de La Tour dans lequel se déroulent les amours des deux amants. Les autres éléments sont à saisir, moins dans une perspective réaliste que dans leur aspect métaphorique, comme ce projecteur qui gît à terre à proximité d'Isolde et dont l'impact semble avoir percé le sol. Il s’agit sans doute s’une évocation du trauma subi par la princesse d’Irlande, promise au Roi Marke. Celle-ci s'agite en écrivant à la plume sur le tissu d'une intrigante robe à paniers, avec manches bouffantes.
Le costume (de Sibylle Wallum) finit par être recouvert par le texte-même qu'elle chante pour exprimer sa fureur et son désir de vengeance. Au moment de toucher à son but, les cordes tombent des cintres tandis qu'apparaît le lieu (sans doute le palais du Roi Marke), avec une forme de nef gigantesque dont l'intérieur est révélé lorsqu'elle pivote à l'acte II. Point ici de forêt ni de torche à éteindre, mais un assemblage qui tient à la fois du grenier et du cabinet de curiosité. Des bustes antiques y côtoient d'épais grimoires, tuyaux et machinerie… Les artefacts entassés peuvent signifier l'accumulation des désirs et des souvenirs du Roi, lui absent (peut-être s’agit-il encore du navire de Tristan). Il est permis de le croire, comme en témoigne la béance tombant des cintres exactement à la verticale du lieu où se trouvait Isolde au premier acte. Le dernier acte montre la nef en pièces détachées, avec ses flancs en acier rouillé éparpillés, et les richesses rassemblées à-même le sol. Les interprètes, que la direction d’acteur limite aux gestes de convention théâtrale, se déplacent tout autour.
Les éléments scénographiques permettent toutefois par leur abstraction et la nudité du plateau de concentrer l'intérêt sur l'interprétation musicale et le chant, dominé par le ténor Andreas Schager. Véritable pilier du Festival, il se voit régulièrement confier par la directrice Katharina Wagner les rôles les plus lourds, parmi lesquels Siegfried, Parsifal et… ce Tristan qu'il aborde avec des moyens superlatifs inversement proportionnels à la qualité de nuancier dans la ligne et l'expression pour pouvoir finalement faire entendre autre chose qu'un Siegfried bis. L'émission est particulièrement puissante dans les tenues, et la brillance rappelle qu'il est l'un des rares artistes actuels à pouvoir chanter le rôle de la sorte (malgré d'inévitables signes de faiblesse dans l'Acte III). Néanmoins, l'aspect démonstratif et d'un bloc massif de l’interprétation finit par détourner de l’attention portée à un personnage qui exige beaucoup de soin dans la caractérisation, comme le démontrait par exemple Klaus Florian Vogt à Dresde aux côtés de la même Isolde.
Psychologiquement plus impliquée et attentive, Camilla Nylund compose une Isolde en résonance avec l'acoustique du lieu. Loin d’en conclure que la voix est inappropriée, la soprano finlandaise affiche une surface vocale plus modeste. La qualité et la densité dramatique du timbre, comme cette façon de porter la note aux confins de ses limites pour mieux en traduire l'émotion naturelle en font une interprète sérieuse. Il demeure que la proximité de son partenaire sous-dimensionne une Isolde dont les principales qualités tiennent à la clarté du phrasé et à la nuance des intonations.
La voix de Günther Groissböck en Roi Marke est comme prisonnière d'un instrument dont sont perceptibles les efforts consentis pour la laisser s'épanouir. La ligne est irrégulière et le timbre grisé sur tous les registres, cédant en intérêt à la Brangäne de Christa Mayer et au Kurwenal d'Olafur Sigurdarson. La première impose une matière parfois métallique mais dont l'endurance et l'ampleur finissent par captiver l'attention. Quant au baryton islandais, il surprend par une entrée en matière assez brouillonne de phrasé et de vibrato, mais gagne lui aussi progressivement en présence et en intensité jusqu’à s’épanouir tout à fait au dernier acte.
Le Pilote juste dans ses cordes de Lawson Anderson, et le Berger assez terne de Daniel Jenz, sont tous deux dépassés en présence comme en précision par le Jeune Marin de Matthew Newlin et le Melot de Birger Radde qui réussit à marquer ce rôle ingrat par l'insolence du timbre et de la projection. Invisible depuis la salle, le chœur semble placé assez loin à l'arrière-scène et son intervention ouatée et confuse contraste avec l'effet visuel de l'apparition du décor à la fin du premier Acte.
La direction de Semyon Bychkov conduit une lecture qui met à profit une palette de timbres et de tempi très ductiles, mettant en valeur la narration sans chercher à pousser le plateau dans ses retranchements. Les cordes n'ont pas l'ampleur capiteuse qui leur permettraient d'éclairer idéalement les émolliences et les ruptures, mais par une recherche assumée des équilibres et des lignes, le chef donne une carrure et une intensité qui lui assurent un beau succès public au moment des saluts, tout comme l'ensemble du cast, à l'exception de l'équipe de mise en scène qui essuie quelques huées sporadiques.