« Éclats d’opéra ». Voici le nom donné à ce récital dominical, à Vichy, programmé juste avant l’heure du déjeuner sous un kiosque à musique centenaire transformé pour l’occasion en mini-scène d’opéra à ciel ouvert. Ainsi va la vie culturelle, l’été venu, dans cette ville thermale inscrite à l’Unesco depuis 2021 : elle fourmille jusque dans les parcs, et se veut accessible au plus grand nombre. Le public sait visiblement sa chance de pouvoir bénéficier (gratuitement) de concerts de telle qualité : plus une chaise n’est disponible à l’heure où débutent ces réjouissances matinales.

Et si cette foule ne sait rien, en arrivant, du programme qui l’attend, elle n’a certainement pas matière à déchanter avec les airs d’opéra qui lui sont proposés. Un répertoire brassant une large période de l’histoire de la création lyrique, avec pour socle commun des passions tumultueuses et des sentiments contrariés. Au Samson de Haendel (avec le grand air d’Harapha « Honour and arms scorn such a foe ») et au Didon et Enée de Purcell (avec le grand air de la mort de Didon), succèdent ainsi Andréa Chénier de Giordano (« Nemico della patria »), La Forza del Destino de Verdi (« Pace, pace mio Dio »), ou encore Tosca de Puccini (Te Deum et « Vissi d’arte ») et Norma de Bellini (« Casta Diva »).

Le programme regroupe des airs dont l’intensité est propre à saisir le public, d’autant que le duo appelé à les interpréter fait plus que chanter : il incarne. C’est le cas d’André Heyboer, d’abord, qui fait montre d’une générosité tant vocale que scénique. Le baryton joue comme à la scène, en donnant tout leur sens à chaque regard et chaque mouvement, tel ce saisissant Charles Gerard livrant un réquisitoire glaçant contre Chénier. La voix est pleine et puissante, assise sur un médium creusé, avec une ligne qui sait autant se parer d’ornementations baroques que d’austères couleurs d’un lyrisme puissant. C’est aussi le cas dans ce "Te Deum" (Tosca de Puccini), qui voit un Scarpia fidèle au personnage mettre toute l’amplitude et la ténébrosité de son baryton au service du détestable personnage. Effet garanti et renforcé, en outre, par la sonorisation des voix.

La vichyssoise Cécile Perrin, évoluant « à domicile », trouve aussi ses aises, et fait la démonstration de sa polyvalence, dans chacun des rôles abordés, qui tournent plutôt vers une certaine gravité, et l’expression d’une affliction constante qui trouve ici une interprète fort crédible. En Didon et Leonora sur le point d’expirer, en Tosca refusant les avances de l’affreux Scarpia, en Norma implorant la déesse Lune, la soprano sait se faire pareillement investie tant dans la portée dramatique que dans l’art d’un chant sensible, éploré ou bien plus incisif. Des transports émotifs variés permis par de subtiles balances de nuances, entre pianissimi éthérés et fortissimi volcaniques, le tout lustré par la constante qualité d’une ligne vocale dont le fil ne se trouve jamais rompu, même s’il faut parfois y aller d’un decrescendo soudain pour renforcer plus encore la désolation rongeant les personnages. Mais l’instrument sait aussi se faire percutant sur la longueur : le « Maledizione ! » résonne encore sur les parois du kiosque à musique !

Bien sûr, de tels transports lyriques seraient impossibles sans la qualité de l’accompagnement. Celui-ci est assuré par Zéphyrin Causin, dont le jeune âge est inversement proportionnel à l’assurance affichée. Parfaitement à l’écoute, toujours soucieux de donner le juste tempo et de parer des justes couleurs de fond chacun des tableaux lyriques qui s’enchaînent, le pianiste trouve aussi en solo de quoi s’illustrer. Il propose une Étude de Chopin, et même l’une de ses compositions, inspirée de Liapounov et Balakirev, aux teintes romantiques, mélodiques, et assurément virtuoses.

Ce sont bien trois artistes qui sont ainsi chaleureusement applaudis après une heure d’un concert terminé un peu plus gaiement, avec le toujours irrésistible Duo des Chats de Rossini. Les deux chanteurs mettent une nouvelle fois à contribution leurs talents de comédien, mais cette fois-ci en grimpant aux piliers du kiosque, à la manière d’irrésistibles félins. De quoi donner au public matière à rire aux éclats. D’opéra, évidemment.