Parsifal à Bayreuth : retour à la Nature
Une deuxième saison s'ouvre pour ce Parsifal dont la popularité tient à la possibilité (pour une partie très réduite du public) d'utiliser des lunettes AR pour accéder à une vision du spectacle en réalité dite "augmentée". La plus-value de cet accessoire technologique reste toujours à démontrer et ce, malgré certaines séquences retravaillées par les concepteurs du logiciel 3D. Les lunettes permettent de voir, en superposition avec la scène du Festspielhaus, toute une galerie d'effets et d'apparitions qui se déroulent par transparence en se superposant à la vision normale. Il vient souvent à l’idée de quitter cet encombrant accessoire, à cause de l'inconfort (poids, chaleur) qu'il procure une fois installé sur le nez, et surtout par la faiblesse des images qu'il ajoute à un spectacle qui manque par ailleurs de relief.
Le fil dramaturgique imaginé par le metteur en scène Jay Scheib est construit autour d'un message dénonçant tour à tour une humanité victime des dégâts de l'exploitation des ressources naturelles et les luttes armées. Le spectacle virtuel superpose des grenades, des sacs plastiques et des fusils d'assaut, avec plusieurs éléments de végétations et des animaux (Renard, cygne et colombes) qui trouvent dans le livret une correspondance relative. Les flèches de Parsifal blessant le cygne sacré sont la métaphore d’un adolescent sauvage et inconscient, tandis que Klingsor (et ses Filles-fleurs aux couleurs très flashy) semble plutôt inspiré d'un univers d’heroic fantasy et de bandes dessinées.
L'intérêt se déplace naturellement vers le plateau vocal, avec un Andreas Schager titulaire du rôle-titre, qui semble encore marqué par sa prestation dans Tristan l'avant-veille. La voix ne présente pas les nuances nécessaires pour rendre l'évolution psychologique du personnage. On entend invariablement une sorte de jeune Siegfried exilé dans un Montsalvat qu'il peine à comprendre tant affleurent les qualités propres à un Heldentenor. Scéniquement peu contraint par un jeu d'acteur peu engagé, il lance son "Nur eine Waffe taugt" avec une vigueur telle que la ligne et la tenue s’en trouvent ébranlées.
Le contraste est d'autant plus vif avec une Ekaterina Gubanova dont la surface vocale est, certes, moins généreuse que son partenaire, mais compensée par un soin attentif mis à l'expressivité. Elle sait comment débarrasser son phrasé de tout élément démonstratif. Le résultat est un "Ich sah das Kind" chanté à la façon d'une vraie mélodiste et chanteuse de Lied. La voix est égale sur tous les registres, avec une belle densité dans le grave dont elle use sur les passages les plus dramatiques.
Georg Zeppenfeld est un Gurnemanz tout naturellement impressionnant et à son aise dans un rôle qu'il maîtrise depuis déjà plusieurs saisons. Sa présence en scène traduit une manière d'habiter un rôle qu'il sublime par l'élégance et la belle amplitude de son registre grave. Le public du Festspielhaus ne s’y trompe pas, en lui réservant la palme du succès à l’applaudimètre.
L'Amfortas de Derek Walton peine à convaincre, avec une émission à la fois très métallique et très monocorde, jouant sur un mode d'effets peu varié pour rendre toute la souffrance du personnage. Les aigus peinent à sortir tandis que tout le bas medium maintient l'acte III dans une désolation excessive qui cède en intérêt au Titurel de Tobias Kehrer, plus en forme et dont la projection rappelle celle d'un Marke dans sa déploration à la fin de Tristan und Isolde. Jordan Shanahan se tire avec les honneurs du rôle très court et difficile de Klingsor, principalement grâce à sa variété d'intonations et de nuances dans la façon d'alléger le phrasé.
Le groupe des Filles-Fleurs sonne relativement dépareillé, avec une Margaret Plummer au vibrato bien appuyé ou bien une Evelin Novak et une Catalina Bertucci trop instables pour garantir l'équilibre général. Malgré quelques belles fulgurances dans l'aigu des excellentes Flurina Stucki et Betsy Horne, l'ensemble est fragilisé par une entrée en matière assez brouillonne et des déplacements sur scène approximatifs.
Siyabonga Maqungo et Jens-Erik Aasbø confirment en Chevaliers du Graal leurs qualités de nuances et de couleurs, complétés par la belle projection de Jorge Rodríguez-Norton et l'articulation très appuyée de Matthew Newlin avec le contralto très affirmé de Maria-Henriette Reinhold qui apporte au premier acte une belle touche finale.
La direction de Pablo Heras-Casado cherche toujours ses marques, entre des tempi parfois trop lents dans l'arrivée des chevaliers au premier acte notamment, et des accélérations pas toujours convaincantes lors de l'apparition de Klingsor. La ligne générale dégage des moments où l'expressivité prend le dessus ("Enchantement du Vendredi Saint"), mais demeure en deçà pour solliciter l'intérêt d'un bout à l'autre de la soirée. Le public lui manifeste malgré tout son admiration, alors qu’il réserve quelques huées à l'équipe de mise en scène. L'ensemble des protagonistes recueille son lot nourri de bravi et de trépignements de pieds qui font vibrer le sol du Festspielhaus.