Carlo Vistoli, « primo uomo » au Festival de Beaune
Le contre-ténor Carlo Vistoli, qui la veille avait interprété le rôle-titre de Rinaldo de Haendel dans cette même Basilique de Beaune, a souhaité rendre un hommage appuyé à un immense castrat du XVIIIème siècle. Moins connu certainement que les légendaires castrats de son temps comme Farinelli ou Senesino, Antonio Bernacchi (1685/1756) occupe pourtant une place essentielle dans l’histoire musicale et vocale de son temps. Il a, par exemple, été le professeur du fameux Farinelli, crée des opéra tels que La Griselda de Scarlatti, et fréquenté certains chanteurs historiques, comme le ténor Anton Raff, créateur de l’Idoménée de Mozart. Avec l’appui de Thibault Noally, Carlo Vistoli a procédé à une sélection significative des opéras qu’il a interprété sur scène, de compositeurs illustres comme Haendel et Scarlatti comme d’autres quasiment oubliés de nos jours, comme Gaetano Maria Schiassi ou Pietro Torri (pourtant compositeur de 50 ouvrages lyriques !). C’est justement par un air de bravoure tiré de l’Adelaide de ce dernier que Carlo Vistoli ouvre le bal, air qui lui permet de déployer une énergie considérable et une virtuosité presque implacable. Un autre morceau de Pietro Torri lui succède, extrait de son Epaminonda, avec sa longue introduction suivie de l’aria proprement dit où Carlo Vistoli fait preuve d’une longueur de souffle et d’un art de l’ornementation totalement maîtrisé.
Son chant apparaît d’une grande fluidité, sans aucun son fixe ou déplacé, tant et si bien qu’il paraît difficile de discerner ses respirations qui font partie intégrante de l’ensemble. En dehors d’aigus pointés et de graves ardemment appuyés, Carlo Vistoli ose les écarts les plus improbables, amenant l’auditeur dans une sorte d’ivresse fort communicative. Toutes ces qualités vocales ne doivent pas occulter l’émotion sincère dégagée par ce chant souverain, tant dans les extraits de Lotario et Partenope de Haendel, de Griselda de Scarlatti, de Scipione il Giovane de Luca Antonio Predieri, ou pour conclure de Demofonte de Gaetano Maria Schiassi, très bel air du personnage de Timante, embarqué dans une tempête.
En effectif certes limité, Les Accents et Thibault Noally semblent se délecter à accompagner tous ces airs variés, et Carlo Vistoli en premier lieu. Toute leur musicalité se révèle par ailleurs dans les deux morceaux pour orchestre seul inclus au programme, un Quartetto en ré mineur de Scarlatti et le Concerto pour violon RV275 d’Antonio Vivaldi. Devant l’enthousiasme du public et ses applaudissement plus que nourris, les artistes interprètent en bis un air extrait du Giulio Cesare de Haendel, où Carlo Vistoli et Thibault Noaly, avec malice et complicité, rivalisent tour à tour de virtuosité, ce pour fêter les 10 ans d’existence des Accents.
Ce concert marque aussi le départ de la fondatrice (avec son mari Kader Assisi décédé il y a deux ans) et directrice artistique du Festival de Beaune Anne Blanchard. Le nouveau responsable qui assure désormais l’avenir de cette manifestation indispensable pour la musique baroque, Maximilien Hondermarck, salue avec chaleur leur parcours et leur générosité envers les artistes. Carlo Vistoli et Thibault Noally en font de même, avec l’air des adieux Chio parta extrait du Partenope de Haendel, maître absolu du Festival de Beaune, comme le rappelle fort à propos Anne Blanchard.