Transfiguration, de cœur(s) et de voix, deuxième partie à La Monnaie
En hommage à son départ de la maison d’opéra, le programme réunit les Wesendonck-Lieder et l'Élégie de Wagner, les Zwei Gesänge et Im Spätboot, sombre bateau de Richard Strauss, les Trois Lieder sur des poèmes de Michel-Ange d’Hugo Wolf, sans oublier des Années de pèlerinage et un Nocturne de Franz Liszt. Et l’obscurité fut !
Habitués aux récitals traditionnels (une voix et deux mains), le public de La Monnaie avait déjà eu la chance de profiter avec Phänomen de la dynamique d’un récital à deux voix grâce au duo Liv Redpath et Samuel Hasselhorn. Plus contrasté, le duo de Transfiguration mise sur l’opposition, entre brillance acidulée et sombre opacité grâce au talent de la soprano Masabane Cecilia Rangwanasha et son opposé absolu, Franz-Josef Selig.
Avant cela, c’est sous les applaudissements chaleureux du public qu’Inge Spinette fait son entrée. Prenant place, la pianiste se laisse absorber par la sombre partition de l’Élégie de Wagner, tandis que les lumières de salle s’éteignent progressivement jusqu’à plonger dans une obscurité totale. La partition flotte alors sur scène, projetant une lueur blanche qui éclaire le visage de la pianiste en solitaire. Solennel, le menton levé vers le grand chandelier Franz-Josef Selig entonne un Im Spätboot voguant à la surface des abysses sombres : les notes sombrent touchant la cale du bateau. Lente et alourdie, la voix s’enrobe et s’enfonce, la note basse tenue vibrante, tout autant pour les Deux Chants de Strauss (Der einsame - Le solitaire, Das Tal - La vallée).
La prosodie traditionnelle allemande du chanteur marque les souffles à la perfection, appuyé, tourné vers soi-même. Cette sensation de son profondément ancré en poitrine s’étoffe pour les poèmes de Michel-Ange. Oscillant entre gravité et chuchotements retenus, il bascule vers une colère plus véhémente et variée.
Marquant l’entrée dans la lumière de la scène, la soliste sud-africaine Masabane Cecilia Rangwanasha présente les cinq chants pour voix de femme de Wagner. Dédié à son amante Mathilde Wesendonck, le romantisme exacerbé de Wagner offre à la soprano l’occasion de faire briller une voix très expressive, totalement maîtrisée. Entre une respiration tenue, l’interstice d’une prosodie très narrative et un placement de voix guttural pour les sons opaques, la brillance des notes sait s’élever limpide. La soprano obtient alors toute l’attention du public (qui arrête même de tousser) et marque sa performance d’une grande empathie pour la profondeur du texte. La musique boisée, chaude apparaît brillante, laquée d’un vernis pour Im Treibhaus (Dans la serre) et Stehe still ! (Arrête-toi).
Ovationné par le public, le trio disparaît et rejoint l’obscurité. Forte d’offrir des récitals toujours renouvelés et loin des formes traditionnelles, La Monnaie aura su mettre à l’honneur une très belle programmation d’Inge Spinette.