Falstaff à l'Opéra Bastille, une rentrée riante et enjouée
L'Opéra de Paris ouvre sa saison 2024/2025 en reprenant la production de Falstaff signée Dominique Pitoiset, inaugurée en 1999. Si la scénographie, rappelant volontairement le film Il était une fois en Amérique (les plus jeunes penseront à Gangs of New York), peut paraître un peu datée, 25 ans plus tard, elle reste malgré tout très plaisante, lisible à souhait, et surtout très Shakespearienne. Sans effets superflus, la mise en scène retranscrit avec bonheur tout l'esprit et l'humour des comédies du Barde. Une scène de balcon vient même rappeler Roméo et Juliette, tandis que de superbes jeux d'ombres (lumières de Philippe Albaric, adaptées par Christophe Pitoiset) rappellent le Songe d'une nuit d'été dans la grande scène de Ford. Les merveilleux costumes d'Elena Rivkina apportent une certaine chaleur, tandis que les décors, simples mais parfaitement efficaces d'Alexandre Beliaev ajoutent une certaine touche de charme.
L'Orchestre de l'Opéra national de Paris, sous la direction de Michael Schonwandt est ronflant, les cuivres rutilent, les trompettes pétaradent, les cordes et les bois enrobent dans du velours, tandis que les percussions vibrent et font vibrer sans complexe. La mise en place n'est pas toujours évidente mais la baguette du chef ne faiblit jamais, et c'est sous de grands bravos mérités qu'il vient saluer sur scène. Préparés par Alessandro Di Stefano, le chœur de femmes se fait remarquer par sa présence féerique, tandis que les hommes ajoutent une touche d'humour à la soirée.
Dans le rôle-titre, Ambrogio Maestri, dont le physique et la versatilité ne sont pas sans rappeler Raymond Devos, joue à merveille de sa voix, et en véritable comédien. L'aigu est triomphal, le falsetto hilarant, les graves soyeux, et le personnage bonhomme, naïf et très, très comique. Montrant à peine un ou deux signes de fatigue, le baryton italien porte le rôle toute la soirée avec un bonheur et une maîtrise visibles.
Ses deux acolytes, Bardolfo (Nicholas Jones) et Pistola (Alessio Cacciamani) forment un duo clownesque et joyeux. Le premier se fait remarquer par un timbre de ténor clair et une émission brillante, bien davantage que le second, qui s'exprime toutefois aussi bien techniquement que scéniquement.
Dans le rôle de Ford, le baryton ukrainien Andrii Kymach dispose d'un timbre métallique et d'une belle rondeur dans les graves, mais qui vire parfois à l'acide dans les aigus. Sa rigidité générale correspond tout à fait au rôle, mais se répercute trop sur sa vocalité qui manque de souplesse.
Iván Ayón-Rivas, quant à lui, campe un Fenton fougueux au timbre lyrique, chaud, et fait montre d’une maîtrise impressionnante des nuances : les pianissimi sont subtils, les forte ardents, la technique souveraine.
Pour clore la distribution masculine, Gregory Bonfatti, en Dottore Cajus, se montre légèrement en retrait et peine à remplir cette scène et cette salle, notamment avec un tel orchestre dans la fosse. Pourtant, le timbre est brillant mais manque de projection.
En ce qui concerne la distribution féminine, Olivia Boen (Mrs Alice Ford) déploie au cours de la soirée une voix souple et veloutée, aussi agile que profonde. Scéniquement très drôle et très aguerrie, elle fait des débuts très prometteurs, dans le rôle et à l'Opéra de Paris.
À ses côtés, Federica Guida fait elle aussi des débuts maison très remarqués et applaudis, dans le rôle de Nannetta. Le timbre est rond et libre mais inégalement dompté, et une fâcheuse tendance à prendre les notes par en-dessous gâche quelque peu le plaisir.
Marie-Nicole Lemieux semble prendre un plaisir fou et communicatif à interpréter le rôle de Mrs Quickly, dans lequel elle s'épanouit pleinement. Malgré cela, le timbre est parfois un peu dur, forcé, et semble avoir perdu un peu de sa souplesse.
Enfin, la voix de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur est timbrée mais manque parfois de projection pour ne pas être couverte par les autres (il faut dire que le personnage de Mrs Meg Page a tendance à se voir noyé dans le quatuor féminin).
La soirée est un succès, le public est conquis et applaudit cette rentrée lyrique avec ferveur.