Arôme de Rome avec Sandrine Piau et Les Talens Lyriques à Bayreuth Baroque
Cette cinquième édition du Festival Baroque de Bayreuth est aussi tricolore avec notamment Les Talens Lyriques, orchestre en résidence cette année, mais aussi avec des récitals de Lucile Richardot (aux côtés du claveciniste Jean-Luc Ho) ainsi que de Sandrine Piau. Dans l'atmosphère intimiste d’un concert aux chandelles, elle propose un programme autour des cantates profanes créées à Rome au début du XVIIIe siècle, par des compositeurs européens de trois nationalités : le français Montéclair, l’italien Domenico Scarlatti et l’allemand Händel. Ces trois artistes se sont tous attaqués à ce genre, initié en une grande forme vocale (orchestre, chœur et solistes), devenu intimiste avec un ensemble chambriste et un soliste qui s’exprime dans une sorte de monologue, alternant les récitatifs et les airs. Les nobles romains, afin de contourner la prohibition papale de présenter en public les œuvres profanes en périodes de pénitence, commandaient en effet des créations destinées à être jouées dans un cadre intime, à l’intérieur des salons et palais. Pour ce concert, les cantates choisies mettent en lumière l’histoire de Lucrèce et d'Agrippine, avec une charge dramatique assez intense, voire violente, mais dont la richesse d’émotions dévoile toute la complexité psychologique de ces héroïnes tourmentées.
Sandrine Piau met en œuvre tout son art et savoir-faire pour faire revivre ces personnages opératiques des cantates italiennes. Dans chacune de ces pièces, elle plonge l’auditeur in medias res : au cœur du drame avec ces récitatifs poignants et une prononciation méticuleuse qui transmet ces douloureuses histoires directement au public. Son phrasé est stylisé, les airs étant entonnés avec beaucoup de finesse et de sensibilité musicale envers l’opéra baroque. Elle y instille passion, violence et force (en Agrippine notamment), mais aussi des larmes et de la douceur dolente, sentiments que certains airs permettent de faire resurgir à la surface, une fois le tourbillon de la rage disparu. Sa technique impeccable lui donne de la stabilité et de la souplesse dans les vocalises, une bonne longueur de souffle et une justesse immuable dans l’intonation, même dans ses allers et retours aux confins de sa tessiture. Elle fait légèrement vibrer son timbre rond et lumineux, avec une projection vigoureuse et pleine de santé vocale. Même si l’acoustique paraît moins résonnante, la sonorité vocale de Sandrine Piau est en adéquation parfaite avec l’orchestre en cette configuration chambriste.
Les Talens Lyriques se présentent ce soir en formation réduite, avec seulement leur ensemble à cordes qui correspond à l’instrumentation indiquée de 2 violons et basse continue. Ils interprètent également des extraits de Concerti des maîtres italiens Corelli et Alessandro Scarlatti. Christophe Rousset mène sa troupe sans diriger. La cohérence aussi forte que la synchronicité entre musiciens impressionne par son infaillibilité, dans la virtuosité de l’ensemble ou des deux premiers violons qui se met en place. Cette solidité technique est la base pour l’expressivité mélodieuse qui prend forme dans les parties plus calmes et chantantes, tout comme dans les lamentations. Le premier violon mène le jeu avec une précision rigoureuse et un phrasé plein de couleurs, tandis que Christophe Rousset accompagne par un toucher délicat et rapide.
Le chaudron de la passion fait monter la température dans l’église Saint Georges où Sandrine Piau essuie quelques gouttes de sueur en terminant la soirée, accompagnée de la clameur du public, avant de le récompenser en retour de deux bis, des airs de Händel (“Se pietà” et “Zeffiretti”).
Bonus : retrouvez également ci-dessous la vidéo intégrale du programme "Muera Cupido" donné par Núria Rial et Fahmi Alqhai au Bayreuth Baroque Opera Festival 2024, ainsi que l'Iphigénie en Aulide de Porpora en suivant ce lien.