Grands airs au grand air au Festival d’été de Vichy
Fin juillet, la soprano Cécile Perrin et le baryton André Heyboer, accompagnés par Zéphyrin Causin au piano, y avaient déjà rencontré un beau succès (notre compte-rendu). Alors, puisque le public vichyssois en avait redemandé, encore et encore, voici qu’un nouveau récital lyrique en extérieur (et gratuit !) lui est à nouveau proposé, en ce frais dimanche d’août, sous l’imposant kiosque du parc des Sources de la ville thermale.
Un rendez-vous au grand air, émaillé, pour se faire plus attrayant encore, d’un programme de grands airs d’opéra que le public découvre au fur et à mesure de l’avancée du concert. Des airs chantés à deux, d’abord, issus du Cosi fan tutte de Mozart (duo Dorabella et Fiordiligi, "Prenderò quel brunettino"), le fameux Duo des Fleurs de Lakmé (Delibes), ou encore la Barcarolle des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Et puis des airs interprétés en solo, qui convient là aussi le gratin des compositeurs : Nabucco de Verdi (air de Fenena, "Oh dischiuso è il firmamento!"), La Bohème de Puccini (air de Mimi, "Addio, Senza rancor"), Rusalka de Dvorak (Ode à la lune), Carmen de Bizet (air de Micaëla, "Je dis que rien ne m’épouvante"), ou encore Gounod et son Faust (air de Siebel, "Faites-lui mes aveux" et air des Bijoux de Marguerite). Au menu de ce récital, enfin, figurent aussi quelques mélodies, telles La Coccinelle de Bizet, ou Les Berceaux de Fauré.
Deux voix qui se complètent et finalement s’unissent
Un répertoire pour le moins éclectique en somme, confié ici à deux jeunes interprètes fort investies dans les incarnations dramatiques et poétiques ici attendues : la mezzo Marie Le Normand et la soprano Margarita Polonskaya, toutes deux lauréates du Prix de l’Opéra de Vichy lors de l’édition 2023 du Concours international de la mélodie de Gordes (prix qui leur avait permis d’obtenir cet engagement vichyssois, précisément).
Première à entrer sur cette atypique scène d’un kiosque dont le garde-corps est orné de clés, de notes et d’indications de mesures, Marie Le Normand fait briller, en Dorabella comme en Fenena, un mezzo généreusement timbré, au medium de soie, projeté avec un vibrato nourri venant lustrer une ligne vocale des plus soignées. Des airs d’opéra ici interprétés, la mezzo se fait fort de restituer toute la vérité dramatique, les poings serrés et le regard grave, quand les mélodies sont elles chantées tout en poésie, avec le strict respect de la métrique des textes et de la couleur émotionnelle qui s’en dégage (ainsi de ces Berceaux de Fauré, œuvre interprétée avec un accablement et un Spleen des plus convaincus).
Margarita Polonskaya sait se faire touchante elle aussi, en Mimi comme en Micaëla ou en Rusalka, avec son soprano à l’émission franche et assurée, teintée de couleurs qui savent idéalement dépeindre, fragilité, tristesse et mélancolie, le tout les bras croisés sur un imposant châle rose. Mais, lorsqu’il s’agit de se faire plus guillerette en Marguerite, la chanteuse russe sait se faire tout aussi probante, avec des aigus percutants, et des franchissements de registre tout en agilité et constance sonore. Quant à la complicité avec sa partenaire du jour, elle est fort bien rodée, avec ses manières joueuses et surtout très sincères d’échanger gestes et regards dans des duos où les deux voix se répondent par leurs amples sonorités et leurs mêmes lignes diaprées. Une entente qui culmine avec l'inénarrable "Duo des chats" de Rossini, où les voix se font d’abord chantantes, puis bientôt taquines et grognardes, en clair définitivement félines, pour le plus grand bonheur d’une assistance passée de l’attendrissement à la franche rigolade.
La chaleureuse ovation des nombreux spectateurs venus assister, avant le déjeuner, à ce récital, s’adresse tant aux deux cantatrices qu’à Guillem Aubry. Dévoué accompagnateur, sachant donner le bon tempo autant que renforcer les couleurs dépeintes par les voix de ses complices du jour, le jeune pianiste est aussi un soliste talentueux qui s’illustre ici avec une Sicilienne de Fauré (issue de son Pelléas et Mélisande) pleine de maestria.