Aida, scènes intimes à Vérone
La mise en scène ultra-classique d’Aida par Gianfranco de Bosio au Festival de Vérone, créée 1982 et s’inspirant de la production d'Ettore Fagiuoli jouée à l’occasion de la première édition du festival en 1913, prend à quelques jours d’écart le relai d’une autre production de la même œuvre, créée l’an dernier, dans une esthétique bien plus moderne (et signée Stefano Poda). Elle tire pleinement parti des atouts de l’œuvre (permettant de convoquer l’Égypte antique) et du lieu (avec cette multitude de figurants, placés dans les gradins derrière la scène en tenue de soldats égyptiens et brandissant des torches pour former un magnifique tableau). Des colonnades, déplacées d’un tableau à l’autre, modèlent l’espace : contrairement à la veille, les changements de décors se font ici à vue, laissant apparaître toute une fourmilière de techniciens. La scène du retour victorieux des soldats accompagnés des fameuses trompettes, trouve ici une interprétation à sa démesure, avec trois ensembles de cuivres placés sur scène pour accompagner le large chœur et les nombreux danseurs. Les chorégraphies, gracieuses, offrent d’ailleurs parmi les plus beaux moments du spectacle.
Mais contrairement à Carmen, donné la veille, Aida compte peu de scènes de foule, en dehors de ce défilé triomphal : bien que le nombre d’artistes mobilisés (environ 500 sur scène plus 100 dans la fosse) soit sensiblement identique, ce spectacle donne l’impression d’une plus grande sobriété. L’ouvrage enchaîne en effet les tableaux relativement intimistes qui laissent peu de place au grandiose, malgré les décors impressionnants. Dans un tel ouvrage, l’organisation du Festival trouve sa limite : en effet, les solistes changent à chaque représentation et les temps de répétitions sont de fait très courts. Ces scènes tiennent alors sur les qualités théâtrales intrinsèques des interprètes. Or, ce soir, le couple central semble peu inspiré et manque cruellement de direction d’acteurs. Dès lors, l’intérêt de ces scènes repose principalement sur la qualité musicale, qui est heureusement au rendez-vous.
Dans le rôle-titre, María José Siri peine à déployer un volume vocal aussi large que ceux de ses partenaires et reste donc en retrait des ensembles. Elle profite donc des passages les plus intimes pour faire entendre un chant bénéficiant pleinement de sa musicalité, de ses nuances et de son timbre fruité. Ses pianissimi sur un fil, totalement maîtrisés, sont notamment particulièrement applaudis. Un manque d’incarnation l’empêche toutefois de transformer pleinement ces passages en moments de grâce.
Face à elle, Ivan Magrì peine tout autant à occuper la scène en Radamès. Il s’appuie cependant sur une voix puissante au grain chaud, aux aigus vaillants, mais parfois déstabilisée par un vibrato non maîtrisé.
Dans leurs mésaventures amoureuses, les deux amants doivent faire face à deux antagonistes bien plus charismatiques. En Amneris, Agnieszka Rehlis dispose d’une voix délicate et sûre, au tissu charnu dans le médium et aux graves profonds et nourris.
Youngjun Park est un Amonasro à la voix épaisse de baryton verdien. Il fait tonner ses exigences avec l’autorité du père et du roi. Alexander Vinogradov livre un Ramphis implacable, à la voix profonde et percutante, ses graves comme ses aigus restant constamment saillants. Simon Lim apporte sa prestance du Roi d'Égypte, avec sa voix large au souffle nourri et aux résonnances riches et caverneuses. En Messager, Carlo Bosi s’appuie sur une voix bien émise, au timbre translucide. Pas sa voix douce, pure et bien émise, Francesca Maionchi offre un moment suspendu en Grande Prêtresse.
Daniel Oren, les cheveux teints d’un brun brillant, dirige l’Orchestre des Arènes de Vérone par de grands mouvements nerveux. Plus que sur la battue elle-même, sa gestique insiste sur l’expressivité (il mime même des larmes coulant sur ses joues pour demander plus de pathos à un instrumentiste) et l’équilibre des harmonies. Il trouve par moments des nuances d’une douceur absolue tout en ménageant, lorsque nécessaire, des tutti tout à fait impressionnants (malgré des cymbales savonneuses). Le Chœur des Arènes de Vérone se montre quant à lui bien ensemble, puissant, déployant des accents guerriers imposants lorsqu’utile.
Les Arènes, bien que moins pleines que la veille, accordent de nouveau une ovation debout à l’ensemble des artistes. Les solistes ayant déjà salué à la fin de chaque scène, seuls les cinq principaux d'entre eux sont encore présents pour recevoir cette ultime salve de remerciements.