Carmina Latina, Sablé à la conquête du Nouveau Monde
En ouverture de son édition 2024, qui vise « le rêve, la magie, la puissance et la beauté », selon les mots d’introduction de sa Directrice, Laure Baert, le Festival de Sablé invite son parrain, Leonardo García Alarcón, avec ses ensembles, La Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur, dont les chanteuses doivent ce soir remplacer au pied levé la soprano Mariana Flores, malade. Cette soirée se tient au Centre culturel de Sablé-sur-Sarthe, sur la Scène Joël Le Theule, confortable écrin pouvant accueillir 650 spectateurs.
Venus du fond de la salle, les instrumentistes qui le peuvent (les autres attendant sur scène) et les chanteurs entrent en procession au rythme du tambour, attentifs à ne pas trébucher dans le noir. Parmi eux, Leonardo García Alarcón lui-même donne de la voix jusqu’à son arrivée sur scène où il s’installe rapidement au clavecin. C’est de là qu’il dirige ensuite la soirée, une main sur le clavier, l’autre conduisant l’ensemble d’une gestique très organique. Non visible des chanteurs placés à l’avant-scène, dans son dos, il accompagne ses gestes de respirations sonores, afin de leur transmettre les indications essentielles. Il encourage chacun d’un sourire bienveillant qui semble s’entendre dans la musique festive que produit la troupe.
Le programme navigue entre une dizaine de compositeurs espagnols et portugais du XVIe au XVIIIe siècle ayant participé à transmettre l’art polyphonique européen aux populations Sud-Américaines lors de la conquête du Nouveau Monde. C’est ce partage culturel qui a permis à ce continent de développer une "musique classique" propre, à partir des mêmes bases baroques que celles qui ont suivi leur propre chemin en Europe, pour aboutir à un tout autre résultat. « L’Amérique latine continue d’être baroque », explique ainsi le maestro, qui apporte régulièrement au public des explications, avec une touche d’humour.
Une quinzaine de chanteurs, les femmes en robe rouge, les hommes en costume sombre, chemise blanche et cravate rouge, interprètent ces airs rythmés, apportant chacun sa personnalité artistique (l’une d’elles accompagnant ainsi une mélodie de castagnettes). Enthousiastes, ils semblent parfois danser, jouant avec les sonorités des paroles qu’ils déclament. Ils se déplacent entre chaque morceau afin de constituer des configurations sonores différentes, jusqu’à se positionner dans la salle, au milieu des spectateurs. Les sopranos mettent en commun leurs aigus rayonnants, tandis que mezzo-sopranos et contre-ténors font converger leurs timbres vers des médiums homogènes. À la vitalité des ténors répondent les basses chaudes et vibrantes qui structurent l’ensemble.
Parmi eux, Valerio Contaldo projette son ténor sombre et couvert, ainsi que ses aigus claironnants avec force, les jambes fléchies et bien ancrées dans le sol, tandis que le contre-ténor Leandro Marziotte dispose d’une voix mate à la pâte épaisse comme un tapis moelleux et au volume limité. Elle est légèrement vibrée et gagne en éclat lorsqu’elle est poussée.
Au sein des instrumentistes ressort notamment Rodrigo Calveyra, avec ses flûtes au son soyeux et son cornet à bouquin. Il danse en jouant, comme s’il était lui-même le serpent charmé par son instrument. La viole de Ronald Martin Alonso produit un son frais et vif. Homme-orchestre, Quito Gato joue quant à lui de la guitare, du théorbe et du tambour (avec une technique d’autodidacte mais un rendu de bon aloi), tout en battant le rythme avec des grelots attachés à ses pieds.
Le public de l’auditorium répond avec chaleur à l’enthousiasme des musiciens, qu’il rappelle à plusieurs reprises à grands renforts d’applaudissements. Tout le monde peut alors aller se coucher pour être en forme dès le premier concert du lendemain matin (chronique à retrouver bientôt sur Classykêo).