Dans l'intimité du Requiem de Fauré au Festival Ravel
Saint-Jean-de-Luz, et sa voisine Ciboure sont les terres de Maurice Ravel. Le plus basque des musiciens français a passé son enfance ici, entre les deux rives du port, visitant souvent l’église Saint-Jean-Baptiste où se tiennent une belle partie des concerts du Festival qui porte à la fois son nom et son héritage. Pour la deuxième soirée de cette édition 2024, c’est la musique d’un de ses grands maîtres qui est à l’honneur, pour le centenaire de sa disparition : Gabriel Fauré, et son inénarrable Requiem.
Avec son goût habituel pour l’Histoire des œuvres, Hervé Niquet ajoute à cette partition célèbre une première partie, pour donner une idée, un aperçu de ce que pouvait être la musique sacrée française du temps de Fauré. Le public découvre alors la Messe de Clovis, composée par Charles Gounod pour commémorer le Roi des Francs, et qui constitue l’ordinaire d’une messe imaginée ici par Hervé Niquet. Entre l’écriture en style ancien de ces numéros, compréhensible compte-tenu du contexte de création (pour une messe officielle), le public découvre des extraits de Théodore Dubois, Louis Aubert, Camille Saint-Saëns ou Alexandre Guilmant. Tel est l’univers français qui est balayé en première partie, préparant en quelque sorte le terrain pour la musique de Fauré qui vient ensuite.
Pour l’occasion, Hervé Niquet voyage léger. “La Messe de Clovis devait rassembler 600 choristes à sa création ! Ce soir, je ne vous en ai trouvé que 20…” plaisante-t-il, au moment de présenter son ensemble au public luzien. Avec un orchestre lui aussi réduit (un quatuor à cordes, deux cors et une contrebasse que complète l’orgue de chœur de l’église Saint-Jean-Baptiste), l'Ensemble Le Concert Spirituel livre une version de chambre des œuvres du jour, voire même, pour le Requiem de Gabriel Fauré, une version modifiée dans sa distribution. Comme il le fait parfois, le chef français confie le solo du Pie Jesu à son pupitre de sopranos.
Seul reste Philippe Estèphe pour le Libera me, ainsi que pour les airs français de la première partie. Avec des qualités de couleur et de clarté du timbre qui conviennent bien à la tonalité générale des pièces proposées, ainsi qu’une facilité de passage vers l’aigu qui rend l’interprétation particulièrement fluide, Philippe Estèphe incarne l’élégance de cette musique, non sans relief. La projection un peu faible du soliste dans cette grande nef est pondérée compte-tenu du petit effectif dans lequel il évolue.
Acteur majeur de cette soirée, le Chœur du Concert Spirituel brille d’équilibre. Les pupitres dits “féminins et masculins” sont placés de part et d’autre du chef, ce qui ne nuit pas à la cohésion d’ensemble, et permet à l’oreille de chercher les timbres, et de distinguer clairement chaque entité dans ses entrées comme dans ses interventions solistes. À ce titre, le pupitre de sopranos se distingue par une belle homogénéité, chacune des voix intégrant l’impératif de discrétion qui met le timbre et la projection toujours au service du collectif.
Si le petit orchestre formé pour l’occasion et mené par Hervé Niquet, attentif, se montre à l’aise dans le répertoire français, le fait de jouer la version chambriste dite “de 1893” du Requiem de Fauré est quelque peu déstabilisante de prime abord. Le manque de texture dans les passages instrumentaux se fait sentir, bien compensé cependant par un orgue présent, au registre de flûtes particulièrement agréable. L’ensemble ainsi équilibré livre une belle prestation, quelque peu ternie par un problème de justesse passager dans le dialogue avec le chœur de l’Agnus Dei, mais rien qui n’empêche le public de manifester, par des applaudissements nourris, sa joie d’avoir entendu un "standard" du répertoire sacré.